17 mai 2024

Cannes 2024 : Megalopolis, le nouveau film de Francis Ford Coppola, est-il une déception ?

Fraîchement accueilli par la presse, le film Megalopolis, projet pharaonique du réalisateur Francis Ford Coppola, âgé de 85 ans, n’est pas le chef-d’œuvre espéré. Mais il fourmille d’idées, plus ou moins neuves. Notre critique. 

Megalopolis, le film tant attendu de Francis Ford Coppola, présenté au Festival de Cannes 2024, est-il décevant ?

 

Dans l’un de ses posts récents sur Instagram, où il dévoilait la bande-annonce de Megalopolis, Francis Ford Coppola affirmait que ce film était le « meilleur travail » qu’il avait eu l’occasion de mettre en œuvre au cours de sa carrière longue de presque six décennies. Ce n’est pas lui faire injure que d’émettre un doute. Nous n’avons malheureusement pas vu un très grand Coppola, ce jeudi à Cannes, et les réactions des journalistes internationaux lors de la projection de presse qui a eu lieu en fin d’après-midi étaient d’ailleurs mitigées. Faut-il crier à la fin artistique de l’un des cinéastes les plus géniaux du 20e siècle, auteur de chefs d’œuvre tels que Conversation Secrète ou Apocalypse Now, Palmes d’or en 1974 et 1979, qui revient en Compétition sur la Croisette pour la première fois depuis ce double coup d’éclat ? 

 

Le tournage de Megalopolis, dont le scénario a été réécrit « 300 fois en 40 ans », avait débuté en 2001 avant de s’arrêter suite aux attentats du 11 septembre. Après avoir investi son argent personnel à hauteur de plus de 100 millions de dollars, Coppola a pu reprendre le tournage il y a trois ans, entre New York et les studios d’Atlanta, pour filer la métaphore d’une Amérique malade, marquée cette fois par les années Trump. Nous sommes à New Rome dans un futur proche, où un architecte aux idées généreuses, Cesar Catilina (Adam Driver), se confronte au maire ultraconservateur de la ville, Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), tandis que la fille de ce dernier, Julia (Nathalie Emmanuel), tombe amoureuse de lui. Le puissant financier Hamilton Crasus (Jon Voight) joue un rôle d’arbitre plus ou moins véreux. Les références sont claires : il s’agit de comparer l’Amérique contemporaine à la Rome Antique, de fixer avec des images comment ce qui fut un empire monumental se retrouve au bord du précipice. 

Adam Driver, Nathalie Emmanuel et Aubrey Plaza au casting

 

Dans ce qu’il raconte d’un pays et d’une planète en proie aux populismes, référence à Hitler incluse, Megalopolis ne se montre pas d’une grande légèreté, usant de la science-fiction comme outil d’une métaphore politique assez prévisible. Son traitement des personnages féminins, notamment celui joué par la géniale Aubrey Plaza, une bimbo arriviste uniquement motivée par l’appât du gain, montre que Coppola oublie aussi quelques personnes en route dans son rêve d’une société plus égalitaire. Le film est plus intéressant dans son portrait ambigu d’un créateur. L’architecte, aka Adam Driver, incarne un alter ego étrange du cinéaste, à la fois brillant – il peut arrêter le temps ! – et incapable d’appliquer ses idées sans faire souffrir les autres. C’est un homme peu affable, dont l’œuvre lui survivra malgré tout. 

 

Dans l’esprit de cet autoportrait un peu tordu, Megalopolis a la qualité finalement peu fréquente de ne jamais se cacher, d’aller à fond dans son désir de prendre carrément l’avenir de l’humanité pour sujet. Le film tente de trouver une forme pour le dire et rate autant qu’il parvient toujours à se relever. On pense parfois au Tree of Life (2011) de Terrence Malick, qui avait cette même ambition cosmogonique et ce soupçon de jusqu’au boutisme outré, dans un style plus lyrique. Ici, c’est le cauchemar d’une paix intérieure impossible qui hante les personnages, la façon dont leurs rêves se fracassent, comme toujours chez Coppola. Il y a de très belles séquences frôlant le kitsch ou le sublime, selon le point de vue : un numéro de cirque, une performance pop qui finit mal, un montage où la ville utopique s’incarne par des dessins, d’intenses split screens. Le souffle reste indéniable. 

 

Megalopolis se dévoile en pur film tardif. Celui d’un grand cinéaste de 85 ans conscient qu’il n’aura plus beaucoup l’occasion de revenir sur un plateau et ne s’embarrasse pas des règles. On peut préférer le Coppola qui luttait pied à pied avec les studios hollywoodiens pour produire de beaux films dans un système hostile, tout en admirant le fait que Megalopolis s’en affranchit totalement. C’est le film d’un homme seul avec ses visions, en face à face avec les possibilités du cinéma. Comme le dit un dialogue crucial, « il faut toujours être du côté de ceux que l’on pense fous. » 


Le film Megalopolis (2024) de Francis Ford Coppola, avec Adam Driver et Aubrey Plaza, n’a pas encore de date de sortie.