Pourquoi faut-il absolument voir la série Berlin 59?
Jusqu’au 19 juin, Arte rediffuse sur son site “Berlin 59”, la suite de la géniale série “Berlin 56”, une flamboyante saga familiale qui met en scène trois sœurs à Berlin-Ouest, durant les années d'après-guerre. Emergence du rock’n’roll, émancipation féminine, homosexualité et fantômes du nazisme s’invitent avec brio dans cette subtile chronique d’une Allemagne divisée.
Par Margaux Coratte.
Phénomène relativement nouveau, les séries germaniques sont de plus en plus nombreuses à parvenir en France. Deutschland 83 (2015), Mitten in Deutschland : NSU (2016), The Same Sky (2017), Bauhaus (2019)… toutes ces productions ont comme point commun un ancrage politique fort. Berlin 59 n’échappe d’ailleurs pas à la règle. Deuxième saison de ce qui s’appelait Berlin 56 – en rapport à l’époque où se déroule le récit –, la mini-série dévoile le quotidien de trois sœurs, menées d’une main de fer par leur mère, directrice d’une école de danse de salon. Située sur le Kufurstendam, célèbre avenue de Berlin – d’où le titre original de la série Ku’damm 56 – l’histoire reflète la métamorphose d’une société allemande minée par le mensonge. Par le biais de personnages féminins brillants, Berlin 56 dévoile l’émergence du rock’n’roll et ses effets sur la libération des corps. Berlin 59 continue dans une veine féministe enlevée, plongeant ses héroïnes trois ans après les événements de la première saison, en pleine guerre froide.
La musique comme vecteur d’indépendance
Tout droit sorties d’Anette Hess, romancière et scénariste allemande, Berlin 56 et Berlin 59 s’inspirent des récits des femmes de sa propre famille. Entre une mère qui symbolise à elle seule les déboires du patriarcat, une fille mariée à un homosexuel refoulé, une autre soumise à un mari vieillissant et misogyne et leur petite sœur rebelle, Monika, le tableau est particulièrement chatoyant. Quoique menée par une réalisation classique mais très soignée, la série offre une fresque électrisée par le destin de ces quatre femmes, qui se révèlent toujours plus complexes au fil des épisodes. En suivant la plus jeune sœur, l’histoire suit le mouvement underground qui vient bousculer les reliquats d’une Allemagne traditionaliste. Monika est animée d’un désir irrépressible, gonflé de sensualité et de danse. Son indépendance passe par le rock’n’roll. Par le sexe aussi.
Dans l’Allemagne de l’époque, les stars de la musique s’appellent Heidi Brühl, Caterina Valente, Fred Bertelmann ou Mitch Miller. Des noms qui, s’ils n’évoquent pratiquement rien en France, pourraient s’apparenter à Tino Rossi, Charles Trenet ou Edith Piaf. Rien de très sulfureux, en somme. Ce n’est qu’au milieu des années 50 que le rock fait son apparition dans les clubs souterrains de Berlin. Venu tout droit des États-Unis, il est la musique des jeunes, ou, aux dires de certains, celle du diable. Monika découvre alors des soirées ardentes avec son ami et amant Freddy, et elle comprend qu’elle n’a rien à faire dans l’école des arts ménagers où l’a placée sa mère. Son destin à elle, c’est la fête. Et alors que la seule obsession dans la vie des femmes de l’époque se doit d’être la recherche d’un mari, la jeune femme se heurte aux conventions sociales et au sexisme ambiant. Les sœurs de Monika, en apparence moins réfractaires que leur cadette dans la première saison, deviennent ici des personnages particulièrement riches, imposant leurs propres désirs à des maris peu compréhensifs.
Une fresque sociale historique
Si Berlin 59 est si addictive, c’est non seulement parce que ses épisodes endiablés vivent au rythme de twist et rockabilly brûlants, mais aussi parce qu’elle soulève des thématiques plus profondes. L’émancipation des femmes, déjà difficile en soi, doit ici se heurter aux fantômes de la guerre. Petit à petit, l’existence des personnages est remise en question par ce qu’ils ont hérité de leur passé familial. Monika découvre avec horreur que sa mère a obtenu la gérance de son école de danse – autrefois propriété d’une famille juive assassinée dans les camps de concentration – par l’intermédiaire d’un ancien SS, devenu son amant. En filigrane se dessinent alors les horreurs de la Shoah, les difficultés économiques que subissent les survivants et l’impossibilité d’oublier. En ce sens, Freddy, – partenaire de danse de Monika – est certainement le personnage masculin le plus touchant. D’apparence blagueur et frivole, il cache en réalité un profond mal-être, dont on ne découvrira jamais vraiment les raisons.
Car même si la série est profondément romanesque, elle demeure toujours attentive à une reconstitution documentée de l’époque pré-sixties. Berlin 59 explore davantage les dessous d’une société devenue puritaine sous le joug de la guerre froide. On y voit tout aussi bien la persécution des homosexuels et des communistes que la lobotomisation des femmes dites “hystériques” par traitement d’électrochocs ou les intentions libidineuses de producteurs de cinéma dignes d’Harvey Weinstein. En ce sens, le style opulent et théâtral de la réalisation de Sven Bohse, complètement assumé, offre un parfait équilibre au sujet sensible qu’il aborde. C’est donc avec impatience que l’on attend la saison 3, qui devrait se dérouler trois ans plus tard, encore, en 1962.
Berlin 59 – Disponible en replay sur Arte.tv jusqu’au 19 juin.