Naeem s’attaque à la masculinité noire dans son premier album
Ce 12 juin, l’artiste Naeem a sorti “Startisha”, son premier album. Premier, le terme n’est pas vraiment exact : le rappeur œuvrait déjà en 2006 sous le pseudonyme Spank Rock. Aujourd’hui, il revient sous son vrai nom avec un disque voguant entre rap nerveux et ballades contemplatives.
Par Lolita Mang.
“Quand quelqu’un me demande quel genre de musique je fais, je réponds du rap. Mais après ils écoutent et sont généralement très déçus”. Si vous étiez un aventurier de l’underground numérique au milieu des années 2000, le nom Spank Rock vous est peut-être familier. C’est sous ce pseudonyme que le dénommé Naeem Juwan, natif de Baltimore, se fait connaître avec un premier album en 2006. YoYoYoYoYo est un disque de rap furieux, taillé pour les clubs sombres où se mêlent transpiration et lumières stroboscopiques. Backyard Betty, morceau introductif de ce premier opus, annonce la couleur. De 2006 à 2014, Spank Rock construit sa carrière entre deux albums et trois EP, avant de disparaître aussi soudainement qu’il était apparu.
Pour les aficionados de Justin Vernon – Bon Iver de son nom de scène –, le prénom Naeem n’est pas inconnu. Naeem, extrait de son dernier disque i,i (2019), tient son titre du nom de son ami et collaborateur de longue date. Avant que les mesures de confinement ne viennent brutalement mettre un terme aux concerts du monde entier, Naeem Juwan accompagnait Bon Iver sur scène.
Comme nombre de musiciens aux États-Unis, Naeem vit désormais à Los Angeles, capitale officielle du show-business, des strass et des paillettes. Or, pour son premier album en neuf ans, le rappeur a tenu à mettre quelques distances entre lui et les collines de Californie. Startisha, sorti le 12 juin 2020, a été enregistré entre Philadelphie, Minneapolis, New York, et Kansas City, sur une période qui s’étale sur plus de quatre années. D’abord à Kansas City, autour d’un traditionnel barbecue, en compagnie des producteurs Morris et Tom Richman. Puis, un an plus tard, au studio de Bon Iver, auprès des grands lacs du Wisconsin avec une flopée de brillants producteurs. C’est simple : Startisha met en lumière une communauté d’artistes plus que le travail d’un musicien isolé. En témoigne également les quelques collaborations du disque, de la rappeuse Amanda Blank à Swamp Dogg.
Un adieu difficile au rap nerveux de club
La question qui reste pendue au bout des lèvres des journalistes est la suivante : pourquoi, neuf ans après le dernier album de Spank Rock, était-il nécessaire pour Naeem d’abandonner son pseudonyme, pour assumer sa véritable identité ? La réponse est toujours la même, évidente. Le rappeur voulait s’éloigner du genre auquel il était désormais accolé, soit un rap glauque, influencé par les clubs et l’énergie nocturne. “Je n’ai pas commencé à écrire l’album en sachant qu’il paraîtrait sous mon vrai nom” confie -t-il, laissant penser que l’idée s’est implantée naturellement dans son esprit, à mesure que l’album prenait vie.
Pourtant, Startisha ne fait pas d’adieux définitifs aux productions frénétiques saturées de beats incisifs. Les morceaux Woo Woo Woo ou Let Us Rave laissent penser que Naeem ne s’est pas encore défait du genre qui l’a porté au début de sa carrière. Le rythme haletant de Woo Woo Woo permet à l’artiste de revisiter son passé dans les clubs de Baltimore. Le rap, les beats en arrière-plan et les voix superposées en écho se compilent en quelque chose qui ne peut que procurer un sentiment de liberté et de puissance. “Peu importe à quel point j’ai essayé de faire quelque chose de différent. Je retourne toujours à la musique de club” avoue le rappeur.
La nostalgie comme moteur
Une compilation de sa vie passée, de Baltimore aux concerts avec Bon Iver. Voilà une façon de résumer Startisha, qui, malgré ses morceaux festifs et vibrants, vogue également vers des continents plus reposés et contemplatifs. Startisha, le morceau éponyme, s’adresse à une amie d’enfance de Naeem, qu’il n’a plus re-croisé depuis une dizaine années. Entre la ballade et la déclaration, le titre laisse transparaître l’émotion qui envahit la voix du chanteur : il apparaît, pour la première, comme un conteur d’histoire, ou encore un rêveur, faisant miroiter ses souvenirs d’enfant. Sur un tout autre registre, Tiger Song aborde la difficulté liée aux attentes de la masculinité, ainsi que la mort du grand frère de Naeem : “Cette chanson parle de la masculinité noire et de tous les moments difficiles que j'ai vécus sans être un mec populaire”.
Entre morceaux énergiques et titres plus lents et introspectifs, Startisha permet à Naeem d’expérimenter ses propres émotions au coeur d’une quête quasi-spirituelle. Le disque apparaît comme une opportunité, pour l’artiste, de réfléchir et de grandir. Le mélange est désarçonnant, et accuse parfois d’un manque de cohésion globale. Startisha part à la dérive, entre expérimentation maniaque et fureur sombre, œuvre d'un musicien libéré de toute contrainte.
Startisha [37d03d], disponible.