Kamaal Williams, des livraisons Amazon à la tête de l’underground londonien
D’abord remarqué dans les Boiler Room ou dans les plus gros festivals de musique électronique pour ses DJ sets groovy sous le nom de Henry Wu, puis pour sa collaboration avec le batteur Yussef Days – sous l’alias Yussef Kamaal –, le claviériste londonien Kamaal Williams s’est peu à peu imposé comme un star de la musique britannique. Entre jazz brut, funk, garage, broken beat et hip-hop, son deuxième album, “Wu Hen”, dit à peu près tout du musicien autodidacte et confirme qu’il est définitivement inclassable. Il sort ce vendredi 24 juillet.
Par Chloé Sarraméa.
Voilà ce que l’on aura retenu de l’Angleterre des années 2010 : l’Under The Skin de Jonathan Glazer, l’Oscar du cinéaste Steve McQueen, la mort de son homonyme couturier, Alexander, la toute puissance du grime (avec les superstars Skepta et Stormzy en tête) et l’ascension fulgurante du producteur Kamaal Williams. Comme (presque) tous les artistes de sa génération – des graffeurs aux rappeurs en passant par les DJ – le claviériste londonien a eu plusieurs vies dans la musique. Trois exactement – ou plutôt dix, selon les dires de l’intéressé, qui se fait appeler “Wu, H, N, Dabs, K-Dabs, Kamaali, Noodles et bien d’autres” par son entourage. De son vrai nom, Henry Wu, il a été l’une des têtes d’affiches des plus grands festivals, dont le mastodonte belge Dour (en 2017) ou le très pointu Nuits Sonores de Lyon (en 2018), mais aussi le Red Bull Music Odyssey (en 2018) au cours duquel le DJ a réalisé l’un de ses rêves de gosse : se produire en back to back (en duo) avec l’instigateur des musiques jungle et drum and bass d’outre-Manche, le légendaire Goldie – qui, comme le producteur débutant, a grandi en taggant les rues de Londres.
Après des tournées dans le monde entier en tant que DJ, Henry Wu est apparu sur les plateformes sous l’alias Yussef Kamaal, du nom du duo qu’il a formé avec le batteur Yussef Days. Dévoilée en 2016, cette collaboration a donné naissance à un unique album toutefois très acclamé, Black Focus. Sorti sur le label indépendant Brownswood Recordings – fondé par Gilles Peterson, autre grande inspiration du Londonien qui, dès ses quinze ans, achetait les compilations du « roi de la house au Royaume-Uni” – le disque condense tout ce qui fera bientôt la musique de Kamaal Williams : des productions pensées pour être jouées en live, composées en groupe et se plaçant aux frontières de la house, du garage, du jazz et du hip-hop. C’est en 2018, après deux ans d’une “vie trépidante” durant laquelle l’artiste est devenu père pour la seconde fois et a lancé son propre label, Black Focus Records, qu’il renouvelle l’expérience, mais cette fois en solo. Il dévoile son premier album, The Return, joué sur synthé, batterie minimale et basse électrique. S’imposant comme le digne représentant de quarante années d’héritage musical anglo-saxon, l’opus allie parfaitement jazz, funk, boogie, afrobeat et hip-hop et, à l’instar de Londres – ville où il a été conçu – il brasse les cultures, de Miles Davis à Kerri Chandler, en passant par le Wu-Tang Clan.
Ce que Wu Hen dit de Kamaal Williams
Deux ans sont passés sans que l’on puisse écouter un nouveau titre de Kamaal Williams. Mais fin mai, l’ancien chauffeur-livreur Amazon (qui n’a pourtant rien du galérien imaginé par Ken Loach dans Sorry We Missed You) annonce la sortie de son deuxième album, Wu Hen. Du nom de la dynastie Wu, à laquelle appartient la famille maternelle du Londonien, ce nouvel opus est encore plus introspectif que le premier : “À l’inverse de Kamaal, qui est mon reflet, Wu est la partie de moi que mes amis connaissent vraiment. Avec cet album, j’ai voulu aller en profondeur, transformer ma douleur en joie et permettre à ceux qui écoutent d’en faire autant. Avec un morceau, les gens peuvent guérir, faire renaître des émotions ou avoir envie de changer de vie.”
Comme un mirage, Wu Hen dessine un territoire fait d’univers qui ne rencontrent jamais : il nous embarque dans les ruelles crades de Peckham – le ghetto du sud de Londres où a grandi Kamaal Williams –, nous fait survoler la ville rose, la “bulle de jazz” de Claude Nougaro, ses briques rouges et sa chaleur étouffante (avec le titre Toulouse, qui a vu le jour grâce à un pari sportif hasardeux sur l’équipe du TFC) nous rappelle les concerts enfumés du New Morning où l’on se déhanche dans des recoins sombres, et immigrer à Taipei, capitale taïwanaise d’où le compositeur est originaire. Concentré de jazz funky (sur le morceau Save Me) de ballades douces (dans l’introduction de l’album, Street Dreams), d’incursions R’n’B (sur le titre Hold On) et, comme sur son album précédent, de broken beats endiablés (sur le très énergique One More Time), l’opus composé à six mains – avec le compositeur Miguel-Atwood Ferguson et le saxophoniste Quinn Mason – dit à peu près tout du musicien autodidacte : il est inclassable.
Wu Hen (2020) de Kamaal Williams, disponible le 24 juillet.