3 sept 2020

Rocco Siffredi, interview with the pornstar

L’incontournable star du porno Rocco Siffredi avait conversé avec Christine Angot pour Numéro Homme. Découvrez cette interview inédite entre ces deux personnalités uniques.

Le jour où son fils lui demandera : “Papa pourquoi tu as été acteur porno ?”, il lui dira : “Parce que c’était ça qui me rendait heureux”, il ajoutera : “Dans la vie, il faut faire ce qui rend heureux. Sans honte.

La séance photo vient de se terminer. Mondino m’a montré celles qu’il a sélectionnées. Il y a deux portraits en gros plan, l’un avec les yeux ouverts, l’autre avec les yeux fermés, sur celle où il a les yeux fermés, une petite larme de sperme commence à couler.

Rocco Siffredi a décidé d’arrêter :

– Mon corps me poussait vers cette décision.

Une circonstance l’y a aidé. Il participait à une émission de télé-réalité italienne, L’Isola dei Famosi, il était sur une île, il y est resté deux mois, ça a agi comme un sevrage. Il réfléchissait, et se demandait ce qui avait fait qu’il était devenu celui qu’il était.

– J’étais comme ça, sans rien, j’étais tout seul, avec en profondeur mes problèmes.

Le tournage terminé, la décision était prise. La dépendance sexuelle, c’était fini.

– Mon addiction.

Il parle français parfaitement. À intervalles réguliers il rit, en guise de réponse, ou parce que quelque chose l’amuse vraiment.

 

Quand il rit en guise de réponse, le regard est froid, le visage figé, la bouche s’ouvre, sur les dents blanches, bien rangées, les épaules sont droites, le buste ne bouge pas, les angles de la mâchoire restent carrés, le nez est droit, le port de tête altier, les yeux durs sont plantés dans les vôtres. Quand quelque chose l’amuse vraiment, il n’y a plus cette fixité. Les épaules sont secouées, s’arrondissent, le visage part sur le côté, le dessin de la mâchoire se casse, et il y a un éclat enfantin dans le regard.

– Je me suis dit : “Tous tes problèmes sont dépendants les uns des autres, si tu veux les régler, il faut les régler tous.” Et là j’ai décidé : “Tu ne seras plus jamais celui qui répond oui quand le premier venu te demande de montrer ta queue.

– Ces problèmes dont vous parlez, c’était quoi ?

– Par exemple, dans mon rapport à mes fans, je me sentais dépendant de mon personnage. Ça, c’était un grave, grave, grave problème pour moi. J’étais en boîte de nuit par exemple, des fans venaient me voir, en me disant : “Ah ! Rocco, je t’adore.” Un mot de plus, ça suffisait à aller au lit.

Son visage est grave.

 

Dans une émission de télé qui tourne sur Internet depuis des années, on le voit sur le plateau avec d’autres invités. Au bout de deux phrases, il prend une des invitées par la taille, il la grimpe sur le décor, elle crie, il la maintient, il sort de son jean la ficelle de son string, il la tire, les autres rient, il baisse son jean, face caméra il essaye de découvrir ses fesses, elle se débat, les autres, hilares, sont pliés en deux sur leur siège, la fille pousse des cris, elle lui dit d’arrêter, il continue à essayer de la déculotter, les autres ont les yeux qui brillent. 

 

La toute première fois qu’il s’est retrouvé sur un tournage porno, il s’est senti à l’aise. Très vite il est devenu Rocco Siffredi.
– J’étais comme chez moi.

Rocco Siffredi par Jean-Baptiste Mondino. Photographie publiée dans Numéro Homme #30 en 2015. Tirage unique signé pour l’exposition « Mondino Numéro 20 ans » au Studio des Acacias. Impression jet d’encre sur papier Rauch Dos Bleu.

Il vient d’une famille d’Ortona. Quelques années plus tard, il a eu peur. Il rendait visite à ses parents, et le médecin de famille est venu le voir : “Tu vas jamais te marier Rocco, si tu fais du porno, personne voudra de toi.” Il a pensé que jamais il ne vivrait avec une femme, et qu’il n’aurait pas d’enfants. Puis, le temps a passé. La situation a évolué. Il était devenu une star. Un jour, son père, qui avait 70 ans à l’époque, a même commencé à lui parler comme s’il était son meilleur ami : “Si toi tu me comprends pas Rocco, qui va me comprendre ?

– Et qu’est-ce qu’il vous a dit ?

– Il m’a raconté toutes ses petites histoires de sexe.

– Il était encore avec votre mère ?

– Non, elle était morte. Elle est morte en 1991.

– Lui il est toujours vivant ?

– Il est mort en 2013.

– L’émission de télé-réalité, c’était l’année d’après, non ?

– Oui.

 

Don Juan a connu mille trois femmes, “mille e tre”. Rocco Siffredi en a connu cinq mille.

– Je suis attiré par toutes sortes de femmes, c’est mon point fort. Mon point fort c’est que j’aime donner du plaisir, et que j’aime toutes sortes de femmes.

– Pourtant j’ai lu dans la presse quelque chose de désagréable sur Catherine Breillat…

– C’est n’importe quoi. Vous avez lu ça où ? J’adore Catherine, elle m’a même pris la bite dans la main pour montrer à l’actrice comment elle devait faire, et ça a été le moment le plus excitant du film.

– Vous dites que vous recherchez la vérité dans le rapport sexuel, c’est-à-dire ?

– Si on décide de faire quelque chose, on le fait bien. Ça peut être porno star, écrivain, photographe. Si on n’a pas de feeling, on n’arrive pas à instaurer un rapport vrai avec la personne. Moi, j’essaye toujours de rentrer dans le mental de la personne, je dis : “Welcome.” Le porno, c’est la seule forme d’art où on peut pas jouer. C’est pour ça, les acteurs traditionnels sont pas à l’aise. Sauf une fois, dans un film j’ai vu Depardieu qui se masturbait avec De Niro. Un vieux film. Depardieu, ce mec-là, il pourrait arriver dans une scène de sexe pendant un tournage porno, on verrait pas la différence, c’est un acteur complet. Tout a été dénaturé dans le cinéma. Tout. Mais le sexe qui monte, non. Des collègues m’ont dit : “C’est incroyable, comment toi qui es le pilastre de notre métier, tu as pu être changé par une émission de télé”, ils ont pas compris que j’avais envie de changer de priorité.

 

– Vous connaissez le mot “étalon” ?

Il rit.

– Stallone. Oui oui.

 

Les mâchoires carrées rient et les yeux se durcissent.

– Pourquoi vous riez ?

– Parce que c’est rigolo.

– Pourquoi ?

– Étalon c’est celui qui fait du sexe du matin jusqu’au soir et il est jamais fatigué, c’est rigolo.

– Il y a des hommes qui peuvent se sentir humiliés d’être ramenés à ça…

– Les pauvres ! Il y a pas à être vexé. C’est un jeu. Moi, ma vie, c’est pas seulement être homme-objet. Tout à l’heure, Mondino m’a dit : “T’es la seule bite qui parle.” Ça m’a fait rire. Mais ça me fait plaisir, ça veut dire que je suis une bite expressive.

– Elle est belle la photo où on vous voit pleurer une larme de sperme…

– C’est la douleur et le plaisir.

– C’est quoi, cette douleur ?

– Quand j’avais 6 ans, mon frère est mort. C’est là que ma douleur a commencé. Voir ma mère avec beaucoup de douleur, beaucoup de douleur, beaucoup de douleur. Puis, ça continue avec le docteur qui me dit que je ne pourrai pas me marier. Ensuite, quand je pars travailler, et faire l’amour avec d’autres femmes, en laissant la mienne à la maison.

Rocco Siffredi par Jean-Baptiste Mondino. Photographie publiée dans Numéro Homme #30 en 2015. Tirage unique signé pour l’exposition « Mondino Numéro 20 ans » au Studio des Acacias. Impression jet d’encre sur papier Rauch Dos Bleu.

Son visage, son regard, la façon dont il est assis sur le canapé, tout a changé.

– Il y a beaucoup de petites choses qui font que la douleur est là.

– Vous vous souvenez du jour où il est mort ? Vous étiez petit. Mais est-ce que vous vous souvenez comment, pour vous, ça s’est passé ?

– Je me souviens super bien. Je rentre de l’école. Je vois ma mère qui crie par la fenêtre. J’entre. Je vois mon frère sur le lit, mort. Il y avait eu un anniversaire chez nous, quelques jours plus tôt, il y avait encore des ballons gonflés dans la pièce, je les ai tous éclatés.

– Qu’est-ce qui a dominé pour vous ? Votre propre douleur ou celle de votre mère ?

– La douleur de ma mère. Pendant des mois, elle a mis son couvert tous les jours. Et à manger dans son assiette.

– Votre père, qu’est-ce qu’il disait ?

– Il lui disait : “Arrête, c’est pas la peine.

– Comment ça s’est passé à partir de là ?

– Elle était tellement nerveuse par moments, si je voulais pas manger par exemple, elle me mordait les mains, ou elle me tapait. Elle ne parlait pas, elle ne me disait pas : “Tu devrais finir ton assiette.” Elle tapait.

– Et avant la mort de votre frère, elle était comment ?

– C’était une mère normale. Jusqu’à sa mort, tous les jours, quelle que soit la partie du monde où je me trouvais, je lui téléphonais, ne serait-ce que quelques minutes : “Ciao mamma come stai ? Bene ?

– Elle est morte à quel âge ?

– 63 ans. Elle a beaucoup souffert. Je suis resté deux mois à l’hôpital avec elle. Je l’ai vue tellement souffrir que je me suis souhaité la même souffrance. Deux fois par jour elle vomissait du sang. Elle avait des veines à l’intérieur du cou qui éclataient, le sang sortait par la bouche.

 

J’ai lu quelque part qu’il s’était fait circoncire et que les suites avaient été douloureuses, les points de suture avaient sauté, le sang coulait le long de son sexe, il avait eu une érection pendant la nuit, tous les points de suture s’étaient mis à sauter, les uns après les autres, son sexe en érection était ensanglanté. Je ne peux pas m’empêcher de faire un rapprochement avec sa mère qui vomit du sang, et les veines de son cou qui éclatent à l’intérieur…

– Excusez-moi, je ne sais pas si je peux me permettre de vous dire ça, mais… Votre circoncision, la façon dont ça s’est passé…

– C’était le lendemain de la mort de ma mère.

– Le lendemain de sa mort ?

– Oui. Le lendemain je suis allé voir le médecin, je lui ai dit : “Est-ce que vous pouvez me circoncire, tout de suite ?” Mais pendant la nuit, les points de suture ont éclaté. Ça a été horrible. J’ai fait tout ce qu’il fallait pas faire, je les ai brûlés avec de la glace.

– Vous ? Vous-même ?

– Oui. Moi. Tout, moi. Je le recherchais. J’avais besoin de me faire mal pour être plus près de ma mère.

 

 

[Archives. Numéro Homme 30, 2015]