28 juil 2020

All you need to know about Danh Vo : the groundbreaking artist seen by Mathieu Paris

Pour ce nouvel épisode de cette série d'été, le directeur parisien de la galerie White Cube revient sur sa fascination pour Danh Vo, capable de faire dialoguer Coca-Cola et Jésus Christ.

Propos recueillis par Thibaut Wychowanok.

Interview by Thibaut Wychowanok.

Numéro art : Comment expliqueriez-vous à un néophyte l’œuvre à la fois poétique et politique de Danh Vo ?

Mathieu Paris : Le travail de Danh Vo est très autobiographique et puise particulièrement dans son histoire de réfugié vietnamien. Son œuvre se fait le véhicule des fragments de sa propre vie mais aussi des fragments de l’Histoire avec un grand H, et de l’histoire de l’art en particulier. L’une des pièces les plus intéressantes de ces dernières années est sans doute l’installation Dirty Dancing que Danh a réalisée pour la galerie en 2020 et qui sera montrée au musée d’art contem- porain d’Osaka. Cette pièce cristallise de façon assez évidente sa pratique : elle se compose d’un mur rouge vif, sur lequel le père de Danh a écrit en lettres gothiques les mots “Dirty Dancing”, d’un Christ en bronze réalisé à partir d’une sculpture en bois du XIXe siècle, de bouteilles de Coca-Cola et de Johnnie Walker presque vides posées sur le sol, et d’une photographie de 1967 retravaillée d’un astronaute de la NASA. Cette pièce est fantastique par sa capacité à connecter des phénomènes d’apparence aussi diverse que l’empire américain, la conquête spatiale ou commerciale et la colonisation – notamment via les missionnaires chrétiens.

 

 

“L'œuvre de Danh Vo fait le véhicule des fragments de sa propre vie mais aussi des fragments de l’Histoire avec un grand H.”

 

 

Le travail de Danh a souvent porté sur cette idée d’empire, notamment américain, qui est approché dans cette pièce via le cinéma et son impact mondial, avec la référence au film Dirty Dancing, et par la société de consommation américaine et son emprise sur le monde. Cette couleur rouge évoque immédiatement dans notre esprit une marque : Coca-Cola. Et il y a ce Christ, bien sûr. Dans Dirty Dancing, Danh met en corrélation et en confrontation tous ces éléments, de manière subtile et poétique, pour les faire rentrer dans cette “sale danse” évoquée par le titre. Tout cela est mis en scène à la manière d’un lendemain de fête un peu nauséabond, symbolisé par les restes de whisky au sol. Il y a en effet quelque chose d’extrêmement dérangeant dans cette installation où l’on évoque des choses aux conséquences violentes.

Danh Vō and Mathieu Paris. © White Cube. Photo: Kitmin Lee.

Comment cette œuvre fait-elle écho à son histoire personnelle ?

Danh est d’origine vietnamienne. Sa famille a été obligée de fuir la guerre menée par les Américains. Après avoir été secourus par un bateau danois, ils se sont installés au Danemark. L’histoire du Vietnam et celle de la famille de Danh ont été fortement marquées par cet exode. Au sein de l’installation Dirty Dancing est également accroché un frag- ment d’une lettre du missionnaire Théophane Vénard reproduite à la main par le père de Danh Vo. Le Vietnam a été marqué par plusieurs vagues de colonisation, la première menée par des moines catholiques afin de convertir et de christianiser les populations. Cette lettre a été écrite par le moine français la veille de son exécution, en 1861. L’empereur était décidé à lutter contre cette première vague qui avait pour prétexte la religion, mais qui était en réalité la première forme de colonisation du pays. Puis il y a eu la guerre du Vietnam, et une colo- nisation plus commerciale, représentée par exemple par l’industrie hollywoodienne ou par des grandes marques comme Coca-Cola. La propagande étatique américaine a également pris d’autres formes avec la conquête de l’espace, à l’époque de la guerre froide. Danh est un sculpteur conceptuel incroyable qui comprend les formes, les mots, les lettres. Il assemble avec maîtrise et poésie tous ces fragments.

 

Une autre grande qualité de Danh Vo est de savoir assembler les éléments au sein d’une exposition. C’est un excellent curator de ses œuvres, qu’il mêle souvent à des pièces d’autres artistes. 

C’est qui m’a immédiatement fasciné chez lui : cette façon de juxtaposer, de superposer, d’empiler, de mettre en transparence plusieurs fragments, plusieurs histoires, dont celles d’autres artistes. On l’a vu au sein de plusieurs expositions, notamment celle qu’il avait curatée avec Caroline Bourgeois à la Punta della Dogana à Venise [Slip of the Tongue, 2015] avec des artistes historiques comme Rodin ou Picasso et une génération d’artistes qui lui sont proches. Il est aussi, pour revenir au terme de curator, le seul artiste, la seule personne qui a intégré après la mort de Felix Gonzalez-Torres son groupe d’amis, d’artistes, d’écrivains. C’est un des seuls adoubé par l’artiste Julie Ault, qui a eu ainsi le droit de curater une exposition de Gonzalez- Torres comme celle du Wiels à Bruxelles, en 2010.

Numéro art: How would you explain Danh Vo’s intensely poetic and political oeuvre to a neophyte?
Mathieu Paris: Danh Vo’s work is very autobiographical and draws in particular on his experiences as a refugee from Vietnam. His work is the vehicle for fragments of his own life but also for fragments of history with a capital H, art history in particular. Perhaps one of his most interesting recent pieces was the Dirty Dancing installation Danh made for the gallery in 2020 and which will be shown at the Osaka Museum of Contemporary Art. It’s an obvious crystallization of his practice, and comprises a bright red wall on which Danh’s father has written the words “Dirty Dancing” in gothic letters, a bronze Christ modelled on a 19th century wooden figure, half empty bottles of Coca-Cola and Johnnie Walker placed on the floor, and a reworked 1967 photograph of a NASA astronaut. The piece is fantastic for its capacity to connect seemingly diverse phenomena such as the American empire, the space and commercial conquest and colonization – particularly via Christian missionaries.

 

 

“Danh Vo's work is the vehicle for fragments of his own life but also for fragments of history with a capital H.”

 

 

Danh’s work has often focused on this idea of empire, especially America’s, which is approached in this piece via the movies and their global impact, referencing the film Dirty Dancing along with American consumer society and its hold over the world. The red he’s used immediately says “Coca-Cola.” And there’s the Christ, of course. In Dirty Dancing, Danh correlates and confronts all these elements in a subtle and poetic way, somehow pulling them together into the “dirty dance” of the title. It’s all staged to resemble the queasy morning after a wild party. There’s something extremely disturbing in this installation, this evocation of phenomena that have violent consequences.

Danh Vō and Mathieu Paris. © White Cube. Photo: Kitmin Lee.

How does this piece echo Danh Vo’s personal story?

Danh is from Vietnam. His family had to flee the American war. After being rescued by a Danish boat, they settled in Denmark. The history of Vietnam and of Danh’s family have been strongly marked by this exodus. In the Dirty Dancing installation there’s an excerpt from a letter by written by French missionary Théophane Vénard and copied out by hand by Danh’s father. Vietnam was marked by several waves of colonization, the first of which was led by Catholic monks who sought to convert the population. The letter was written by Vénard the day before his execution in 1861: the emperor had determined to fight this first wave which had religion as its pretext, but was in fact the first attempt to colonize the country. Then came the Vietnam War, and a more commercial colonization, represented by the Hollywood film industry and by big brands such as Coca- Cola. American state propaganda also took the form of the space race during the Cold War. Danh is a remarkable conceptual sculptor who understands forms, words and letters. He assembles all these fragments with skill and poetry.

 

Another of Danh Vo’s talents is knowing how to put an exhibition together. He’s an excellent curator of his own works, which he often mixes with pieces by others. 

That’s what I immediately found fascinating about him: this way of juxtaposing, superimposing, stacking, and rendering several fragments or several stories transparent, including those of other artists. We’d seen him in several exhibitions, including the one he curated with Caroline Bourgeois at the Punta della Dogana in Venice [Slip of the Tongue, 2015], with works by historic artists like Rodin and Picasso alongside artists of his own generation. To go back to the term curator, he is the only artist, the only person who has post-humously integrated the group of friends, artists and writers, around Felix Gonzalez-Torres. He even got to curate a Gonzalez-Torres show at the Wiels in Brussels, in 2010.