Rencontre avec Phony Ppl: “Erykah Badu est comme une tante pour nous”
Le groupe new-yorkais est de retour avec “Fkn Around”, un titre en collaboration avec la rappeuse Megan Thee Stallion accompagné d'une série de remixes, et amorce le lancement d’un prochain album prévu pour cette année. L'atmosphère dansante et entraînante de ce nouveau morceau est à l’image du quintette, que Numéro a rencontré chez eux par écrans interposés.
Elbee Thrie est au micro, Elijah Rawk est à la guitare, Matt “Maffyuu” Byas est à la batterie, Aja Grant est aux claviers et Bari Bass est à la basse : voilà les cinq génies de la production rassemblés derrière le groupe Phony Ppl – à prononcer “phony people”. Originaire de Brooklyn, le quintette débute sa carrière avec l’album WTF is Phonyland? (2009) et se fait connaître du grand public avec les albums Yesterday’s Tomorrow (2015), qui frôle le top des charts pendant plusieurs semaines, et plus récemment mo’za-ik (2018). Avec son esthétique revisitée des années 90, son groove endiablé et leur appétence pour les mélanges des genres (funk, rock, soul, jazz…), Phony Ppl se fait tête de proue de mouvement new-yorkais Beast Coast, lancé en 2012 par des rappeurs de Brooklyn cherchant à garder l’esprit des années 90. À l’occasion de la sortie des remixes du titre Fnk Around (2020), en collaboration avec Megan Thee Stallion, les Phony Ppl se confient à Numéro sur la formation de leur groupe, sur la réalisation de leur septième album prévu pour la fin d’année et leurs concerts endiablés avec Erykah Badu et Jill Scott. Rencontre.
Numéro : Racontez-moi comment est né Phony Ppl ?
Elijah Rawk : [s’exprimant en français] Nous sommes un groupe qui s’appelle Phony Ppl ! [retournant vers l’anglais] Bari et Aja se sont rencontrés en tant que frères après leur venue au monde, puis Elbie, Maffyuu et moi les avons rencontrés au lycée. Aja a cet étrange magnétisme qui fait que nous nous rassemblons tous ensemble et sommes hyper concentrés lorsque nous jouons. La musique est ce qui nous unifie, et quand nous étions jeunes nous ne faisions pratiquement rien d’autre que cela. Nous nous retrouvions chez les parents de Maffyuu pour jouer, se créer quelques ennuis, mais dans un environnement contrôlé. Nous nous sommes déjà fait virer de chez Maffyuu : Maffyuu lui-même s’est fait virer de sa propre maison ! [rires]
Matt “Maffyuu” Byas : Mes parents se sont dits “ça suffit, tout le monde sort de cette maison !”. Je n’avais pas compris que j’étais inclu dans le lot! [rires]
“Je ne savais pas qu’il écrivait du classique. C’était une pièce pour flûte et piano, c’était incroyable ! Tout ça pour dire qu’en tant que musicien nous incorporons toutes nos influences dans la musique des Phony Ppl”
Vous jouez ensemble depuis plus de dix ans donc… N’est-ce pas difficile de composer avec autant de personnalités ?
Elbee Thrie : Nous n’avons pas de règle particulière. En général nous nous retrouvons pour jammer ensemble et chacun sait qu’il a de la place pour s’exprimer – tout vient naturellement, comme une gravitation musicale. Quand nous travaillons séparément et que l’un d’entre nous commence une musique, il l’envoie son idée à Elijah par exemple, qui va ajouter sa touche, puis la transmettre à Bari, qui à son tour va la renvoyer à Aja, ainsi de suite… Juste une chaîne d’événements. Nous avons beaucoup travaillé comme ça pendant le confinement, car nous ne pouvions pas nous retrouver chez Maffyuu.
Maffyuu : Nous aimons nous renouveler constamment, et ne voulons pas que faire de la musique devienne ennuyeux. Nous proposons toujours de nouvelles idées et changeons régulièrement d’instruments ce qui est très intéressant pour nos morceaux – Aja se met à la batterie, Elijah au chant, Elbee aux claviers…
Elbee : [s’empare d’une flûte] Tu peux aussi faire ça par exemple ! [rires]
Aja Grant : Sur l’une de nos chansons les plus connues, je suis le second pianiste. Maffyuu est le pianiste principal, il a tout créé de A à Z, j’ai seulement agrémenté le tout. Ce qui est bien est que nous sommes tous les cinq producteurs de notre musique et chacun connait les bases de chaque instrument.
Elijah : C’est drôle car chaque fois que quelqu’un nous demande comment nous faisons notre musique, nous disons juste “je sais pas”, même après 12 ans.
Aja : Nous devrions écrire un livre qui s’intitulerait “La Bible musicale des Phony Ppl” [rires]
Bari Bass : Amen.
Votre musique oscille entre hip-hop, soul, funk, jazz, rock, faisant de vous des pionniers de la Beast Coast – mouvement lancé en 2012 par des rappeurs de Brooklyn cherchant à garder l’esprit des années 90. D’où tirez-vous toutes ces influences ?
Maffyuu : Tout le monde, à l’exception de Bari, a suivi une formation classique en musique. Être dans l’état d’esprit où tu ne crées pas ta partie, mais tu récrées un sentiment qui a été formé il y a très très très longtemps, jouer dans un orchestre et lire la musique… tout ça me rappelle le bon vieux temps.
Elbee : Nous sommes tous allés dans différentes écoles de musique, comme la Manhattan School of Music, Julliards School, Brooklyn Conservatory of Music, Mannes Pre-College… A la base je suis batteur et chacune de ces écoles m’a donné un élément spécifique à travailler et, quand j’assemble tous ces éléments, cela donne la musique que vous entendez aujourd’hui.
“Cela fait partie d’une expérimentation que nous avons commencé à faire à Philadelphie avec notre cher ami, le producteur Ivan Barias. Nous étions dans une atmosphère détendue et cherchions un thème à la fois fun et dangereux pour cette musique. Il donne l’impression qu’une fête se déroule et que vous êtes en train de faire quelque chose qui n’est pas permis !”
Maffyuu : L’un de mes premier souvenir avec les Phony Ppl est le concert que nous avons donné dans le quartier du Lower East Side, dans l’arrondissement de Manhattan. Aja avait un autre concert prévu la même soirée plus loin dans New York qu’il ne pouvait pas manquer. Il m’a sorti “j’écris un récital qui est joué ce soir, je dois absolument y aller”. Je me souviens avoir été surpris, je ne savais pas qu’il écrivait du classique. C’était une pièce pour flûte et piano, c’était incroyable ! Tout ça pour dire qu’en tant que musiciens nous faisons plus que ce que vous pouvez entendre dans des titres comme Fnk Around ou autre… Nous incorporons toutes nos dans la musique des Phony Ppl.
Elijah : Une chanson française que j’adore est Tu es beau (2015) de Yelle. On m’a d’ailleurs demandé en mariage en France, lors d’un festival à Cannes… je connaissais Aude depuis deux heures seulement, j’ai refusé ! [rires]
Parlons un peu de ce fameux titre Fnk Around, sorti en février dernier, dans lequel vous prônez une liberté sexuelle et vous déhanchez au milieu d’un atelier de réparation automobile, accompagnés de la rappeuse Megan Thee Stallion…
Bari : Elbee adore jurer, d’où le titre !
Elbee : Je dois dire que cela fait partie d’une expérimentation que nous avons commencé à faire à Philadelphie avec notre cher ami, le producteur Ivan Barias. Nous le considérons comme notre oncle à ce stade ! La première fois que nous sommes rencontrés pour créer un morceau tous ensemble, Fnk Around est né. Nous étions dans une ambiance détendue et cherchions un thème à la fois fun et dangereux pour cette musique et le titre Fkn Around est ressorti. Il donne l’impression qu’une fête se déroule et que vous êtes en train de faire quelque chose qui n’est pas permis ! (il se met à entonner la mélodie principale).
Elijah : Quant à Megan, la magie ancestrale de l’industrie musicale l’a menée à nous. Fkn Around est le premier single de notre prochain album, sur lequel nous travaillons depuis janvier dernier. Nous avions déjà une démo complète et avons pensé qu’une perspective féminine pourrait apporter au morceau. Les gens de notre label ont pensé à Megan, et tout a très bien fonctionné avec elle. Le morceau est beaucoup mieux que ce que nous avion anticipé.
Maffyuu : Par ailleurs, traîner avec Megan après avoir produit le morceau, aller à ses soirées, passer du temps avec son chien Foe et jouer à ses côtés pour son Tiny Desk Concert… tout témoigne de notre bonne entente. Tout le monde pense qu’elle a ce côté mature et inaccessible, mais elle est comme une “petite” grande sœur pour nous ! [rires]
“L’album va compiler beaucoup de titres entraînants et endiablés. Un album pour vous faire bouger, mais aussi réfléchir.”
Vous venez également de dévoiler aujourd’hui une série de remixes du titre Fnk Around. Votre nouvel album semble arriver à grand pas !
Aja : La sortie est prévue pour la fin d’année, en fonction de la situation sanitaire. L’album va compiler beaucoup de titres entraînants et endiablés. Un album pour vous faire bouger, mais aussi réfléchir.
Maffyuu : Pour l’instant le plan est de pouvoir nous retrouver pour jouer ensemble et peaufiner l’album. Les concerts étant techniquement annulés jusqu’en 2021, nous avons quelques mois pour développer notre nouveau show et les nouveaux titres de l’album. A ce stade, nous sommes passés maîtres en matière de quarantaine ! Il a fallu beaucoup de force d’esprit et je suis content que nous soyons un groupe soudé, capable de proposer de nouvelles idées et de motiver les troupes quand quelqu’un ne se sent pas très bien. Finalement, nous avons réussi à faire beaucoup de choses, tout en respectant les besoins de chacun.
Programmez-vous un nouveau concert au Blue Note pour 2021 ? J’ai entendu dire que certaines de vos performances y étaient mythiques…
Elijah : Nous n’y avons pas joué depuis un petit moment car nous étions absents de New York, mais nous sommes prêts à y retourner dès que possible !
Bari : J’aime beaucoup l’ambiance du Blue Note, un petit espace intimiste…
Aja : Tellement intimiste que les gens peuvent vous attraper la jambe pendant que vous jouez ! Un jour un spectateur m’a donné une frappe sur le dos…
Elbee : C’était un super solo mec ! [rires] Le Blue Note c’est quelque chose… je me souviens que les organisateurs nous avez amené deux jolies bouteilles de Jameson et de Patron avant le concert… Pareil pendant un show à San Diego !
Maffyuu : Ils sont venus à la fin du concert en disant “les mecs vous avez failli tout faire foirer” ! [rires]
“À chaque fois que nous croisons Erykah Badu, nous lui lançons un ‘salut tata, comment tu vas ?’ et elle nous répond ‘ça va, vous mangez assez ?’”
Comment se passe votre quotidien à Brooklyn en ce moment ?
Elbee : Home sweet home… J’ai hâte de sortir de ce confinement ! J’ai beaucoup trop de câlins et d’amour à donner au monde ! [rires]
Elijah : Je commence à m’habituer à ce mode vie… maintenant je dois me préparer à en sortir…
Bari : Les studio, le public, la scène me manquent…
Maffyuu : Avant le confinement, nous étions fatigués de voyager constamment, de prendre les transports et maintenant nous faisons tout pour monter à bord d’un avion ! [rires] Beaucoup de nos plateformes ont servi à donner concerts virtuels. Nous avons fait le show “In My Room” pour le magazine Rolling Stones, le “Colors Show”, le “300 Unplugged Live”, pour lequel nous avons joué les morceaux Cookie Crumble, Yesterday’s Tomorrow, Fnk Around et Cops Came.
Votre titre Cops Came fait partie d’une mixtape hybride sorti en 2012. Dès les débuts de Phony Ppl, vous avez écrit des textes engagés, témoignant notamment du racisme auquel vous avez pu faire face aux États-Unis.
Elijah : Nous avons beaucoup de chansons qui résonnent avec l’actualité. Nous avons écrit à ce sujet depuis un long moment, en particulier Elbee depuis notre rencontre au lycée. C’est une occasion d’apporter une perspective similaire à ce que nous écrivons depuis toujours sur cette situation et aussi de pointer le facteur temporel : la situation est toujours la même après tant d’années. Elbee a aussi ce morceau appelé Possessed qui relate son histoire personnelle, étant harcelé pour aucune raison valable en bas de son immeuble.
“Être confiné a fait que personne ne pouvait éviter le mouvement Black Lives Matter.”
Pensez-vous que le confinement a fait que beaucoup de personnes se sont intéressé au mouvement Black Lives Matter ?
Bari : Je pense oui. Être confiné a fait que personne ne pouvait éviter la question. Tout le monde est sur les réseaux sociaux, tout le monde a pu voir ce qu'il s’est passé, il n’y avait aucune échappatoire à la vision des meurtres commis. Il n’y a aucune raison de ne pas reconnaître qu’il y a un problème.
Elijah : Les réseaux sociaux jouent un grand rôle en ça et je pense qu’il est important que les gens soient informés de ce qu’il se passe sur le plan politique et social dans le monde. En tant que musiciens, nous parlons des abus que nous subissons au sein de la communauté noire. La technologie nous permet aujourd’hui de capturer en images ces abus. Les réseaux sociaux sont devenus un vecteur de parole, sans cela beaucoup de gens n’aurait pas une voix collective forte.
En tant que producteurs, vous travaillez avec des artistes tels que Princess Nokia, Mac Miller, Domo Genesis ou encore Theophilus London. Vous n’êtes pas non plus en reste en tant que musiciens, avec des tournées aux côtés les deux reines de la soul américaine Jill Scott et Erykah Badu ! Que retenez-vous de ces rencontres ?
Elijah : Tout d’abord qu’Erykah et Jill sentent très bons. Nous avons suivi Erykah dans quelques-unes de ses tournées, c’est une bénédiction d’être présents sur ses projets. C’est une personne de nature très maternelle et que nous fait nous sentir inclus dans son travail. Je me souviens d’un concert à Virginia Beach, en Virginie, pour lequel elle avait organisé une rencontre en fin de show. Nous y étions. Elle est ensuite retournée dans sa loge aux côtés de Pusha T. Maffyuu voulait absolument une photo avec elle, alors lui, moi et un ami commun sommes entrés dans sa loge sans réfléchir, malgré le garde du corps à l’entrée, pour quémander une photo en tremblotant. Pendant ce temps elle avait déjà donné son accord à la sécurité pour nous laisser entrer ! [rires]
Maffyuu : C’est tout elle ! Elle aurait très bien pu faire le show avec nous, puis partir seule dans sa loge, mais elle nous a accueillie avec plaisir. A chaque fois que nous la croisons, nous lui lançons un “salut tata, comment tu vas ?” et elle nous répond “ça va, vous mangez assez ?” Une personne chaleureuse et très maternelle.
Le septième album de Phony Ppl prévu pour 2020.