Bernar Venet recouvre d’acier les pavés de la place Vendôme
Pendant plus d’un mois, la galerie Perrotin dédie tous ses espaces parisiens aux récentes œuvres de Bernar Venet, sculptures, dessins et peintures. En point d’orgue de cette célébration, deux de ses immenses installations d’acier sont exposées place Vendôme à Paris. Une programmation de taille qui advient plus de vingt ans après le dernier passage de ses créations dans la capitale. Pour Numéro, Bernar Venet se replonge dans plus d’un demi-siècle passé sur le devant de la scène artistique contemporaine.
Par Camille Bois-Martin.
Une installation exceptionnelle sur la prestigieuse place Vendôme
Sur les pavés historiques de la place Vendôme, d’imposants morceaux d’acier orange sont amassés de chaque côté de la colonne napoléonienne. Trônant devant les vitrines des grands joailliers, ces installations gigantesques intitulées Arcs et Effondrements sont le fruit de l’imagination de Bernar Venet, artiste de 81 ans dont la carrière a commencé à 20, que la galerie Perrotin et la ville de Paris, sous la curation de Jérôme Sans, célèbrent enfin. Auteur de la plus grande sculpture d’Europe, Bernar Venet voit les choses en très grand et occupe l’espace de long en large, jouant sur les divers angles de vue : selon que les passants arrivent de la rue de Rivoli ou du boulevard des Capucines, les lignes qui composent ses installations s’offrent sous un nouveau jour, sans jamais perdre de leur monumentalité.
Déjà investie précédemment par Alicja Kwade, Alexander Calder, Yayoi Kusama dans le cadre la foire Paris+ par Art Basel (ex-FIAC), la place Vendôme pose un vrai défi aux artistes. Entouré d’enseignes de luxe et de bâtiments historiques, le lieu rend particulièrement délicate la mise en place des grandes installations de Bernar Venet. Arrivées dans un convoi spécial depuis Le Muy, (bourg du sud-est de la France où l’artiste vit, travaille et expose au sein de sa fondation), ces œuvres se sont imposées à lui comme une évidence : “C’est presque comme si je n’avais pas le choix : mes Effondrements et mes Arcs se prêtaient parfaitement à l’envergure de la place Vendôme. Comme je ne comptais pas me confronter à la verticalité de la colonne qui trône en son centre, je devais donc jouer sur l’horizontalité.” Ses installations se jouent de la rigidité du métal qui les compose, comme de celle la majestueuse colonne de bronze, et contrebalancent, par leurs éléments installés à l’horizontal, l’élan vertical vers le ciel de l’édifice napoléonien. Mais Bernar Venet confie qu’il aurait “aimé faire mieux”. S’il n’avait pas été entravé par des contraintes matérielles, il aurait plutôt voulu que l’entassement d’Arcs ait été obtenu avec une part d’aléa : en lâchant brusquement les Arcs tenus par une grue, avant de laisser tout s’effondrer naturellement. “Là, je ferais l’œuvre idéale” estime-t-il.
Les “Effondrements” : le résultat d’une vie de recherches
Posés sur les pavés de la place Vendôme, les impressionnants Effondrements et les Arcs de Bernard Venet sont le résultat de toute une vie de recherches, qui se prolongent aujourd’hui encore dans ces grandes sculptures en acier Corten (variété d’acier particulière à la teinte orangée). Après avoir travaillé les angles et les arcs géométriques sur des toiles, Bernar Venet se fascine dans les années 90 pour ce qu’il désigne comme la “ligne indéterminée”, qui, là encore, s’est imposée à lui “naturellement”. Avec des morceaux de bois (qu’il baptise Reliefs), il conçoit d’abord des spirales qu’il superpose, jour après jour. “C‘est en me libérant du mur que la sculpture s’est imposée dans mon travail” considère-t-il. L’artiste imagine alors ses premiers Effondrements, assemblages de tiges en acier de plusieurs mètres superposées de manière aléatoire.
Pour Bernar Venet, ils incarnent “la philosophie du “pourquoi pas ?” de Gaston Bachelard. Tout à coup, on a une intuition originale et, au lieu de s’en tenir confortablement à ce que l’on connaît ou à ce qu’on a l’habitude de faire, on se dit : “pourquoi pas ?” Ainsi touche-t-il à la sculpture et à l’acier, et s’enfonce-t-il dans l’exploration de ses “lignes indéterminées” et du hasard. L’artiste ne se donne pas de limite et s’affranchit du contrôle de l’œuvre, ne souhaitant pas intervenir dans le résultat. À l’aide de chariots élévateurs ou de camions grues, il abandonne ses sculptures au sort de la gravité. “Mes Effondrements correspondent, je pense, à la partie de mon travail la plus originale, estime Bernar Venet. Ces œuvres sont toujours éphémères. Elles n’ont pas d’identité définitive tant qu’elles n’ont pas été acquises par quelqu’un ou par une institution”… qui, alors, peuvent les figer à jamais en les exposant – à l’image de ses Neuf lignes obliques installées sur la promenade des Anglais de Nice depuis 2010.
60 ans de création célébrés par la galerie Perrotin
Dans le travail de Bernar Venet, le hasard occupe donc une part presque aussi importante que son geste, qui laisse une grande part à l’intuition. En 1963, dans le sillage des minimalistes américains, l’artiste français à peine âgé de 22 ans étale des centaines de morceaux de charbon sur le sol de son atelier du sud de la France. Par ce geste novateur, il propose la première sculpture totalement informelle de l’histoire de l’art : conséquence d’un déversement au résultat complètement aléatoire, son Tas de charbon lui inspire les nombreuses expérimentations sur dessin, acier ou toile, qui jalonnent une carrière extrêmement prolifique. Et, pour les soixante ans de son Tas de charbon, la galerie Perrotin offre à l’artiste un hommage sans précédent sur le territoire français. Car, si Bernar Venet connaît un immense succès à l’international depuis de nombreuses décennies (ses œuvres sont exposées de la célèbre Park Avenue de New York comme dans rues de Shanghai), la France peinait à lui accorder la même reconnaissance. Un tort rattrapé par cette année de célébrations à travers le pays et d’expositions qui lui seront consacrées cet été, du musée Fabre de Montpellier aux Abattoirs de Nice.
À Paris, la galerie Perrotin, qui représente Bernar Venet depuis l’automne, lui dédie pendant plus d’un mois l’entièreté de ses deux espaces, avenue Matignon et dans le Marais. Alors que ses œuvres n’ont pas été exposées depuis plus de vingt ans dans la capitale, celui qui imagine sculptures, peintures, dessins et performances depuis plus d’un demi-siècle propose, pour l’occasion, des pièces inédites, jamais montrées dans le monde pour la plupart. “Le but principal d’un artiste est de se remettre en question”, affirme Bernar Venet, qui fait fi de l’adhésion du public et continue d’explorer de multiples raisonnements scientifiques afin de renouveler sa pratique. Armé d’une force créative sans pareille, il expose dans les galeries Perrotin des sculptures, Reliefs, peintures, dessins et gravures qui touchent aux mathématiques, à la géométrie comme à la littérature. “Il reste tellement de choses à créer, alors pourquoi s’en tenir à une découverte, un style, que l’on va exploiter inlassablement ?” insiste-t-il. En écho aux œuvres exposées place Vendôme, Bernar Venet a fait entrer dans les espaces immaculés de Perrotin d’autres imposantes sculptures en acier intitulées Gribs, qui, chacune, ont nécessité trois jours d’installation… Autant de médiums témoignant de son travail protéiforme, qui n’accepte ni le support ni les dimensions comme limite.
“La parabole de l’Histoire” par Bernar Venet, jusqu’au 30 avril à la Place Vendôme, Paris 1er.
“Difféomorphisme et discontinuité” par Bernar Venet, jusqu’au 15 avril à la galerie Perrotin Marais, Paris 4e, et jusqu’au 22 avril à la galerie Perrotin Matignon, Paris 8e.