7 beaux livres d’art à découvrir cet automne
L’automne arrive et, avec lui, la rentrée littéraire : dialogues entre artiste et philosophe, abécédaire des grandes femmes de la peinture, découvertes d’intérieur de designers… En ce début de mois d’octobre, Numéro a sélectionné sept beaux livres d’art à découvrir absolument.
1. La rencontre sensible de la photographe Viviane Sassen et du philosophe Emanuele Coccia
Elle est l’une des photographes les plus célèbres de notre époque. Il est un philosophe reconnu, dont la pensée du monde sensible s’applique aussi bien aux liens entre l’humain et le végétal que la mode ou la politique. Viviane Sassen, photographe lauréate du Prix de Rome en 2007 travaillant entre les mondes de l’art et de la mode (avec des maisons telles que MiuMiu ou Stella McCartney), et l’Italien Emanuele Coccia, spécialiste de la théorie de l’image, de la nature et du vivant se rencontrent dans l’ouvrage Alchimie moderne, commandé par la maison Perriet-Jouët et inspiré par la richesse du territoire français de la Champagne. Dans cette ode à la terre et à la matière originelle mêlant prise de vue, collage et touches d’encre et de peinture, l’artiste pose un regard tendre sur une nature luxuriante. Pour cette nouvelle série, elle crée des compositions organiques où les corps nus, les êtres-vivants et les couleurs se confondent. Ces images hybrides – au nombre de 80 dans cette édition – mêlant enveloppe charnelle, insectes et fruits, dialoguent avec un essai philosophique d’Emanuele Coccia, divisé en chapitres, qui prône un retour à l’unité entre le corps l’esprit. Le philosophe y écrit notamment : “Peut-être devrions-nous penser de manière alchimique à nos corps et imaginer d’autres compositions, d’autres combinaisons”, élisant la discipline séculaire de l’alchimie comme une porte d’entrée idéale pour repenser le rapport à la matière et à l’œuvre d’art à l’ère contemporaine.
“Alchimie moderne”, Viviane Sassen et Emmanuelle Coccia, JBE Books (2022), 35€.
2. L’obsession domestique de la photographe Barbara Iweins
Pendant deux ans, la photographe belge Barbara Iweins a accompli projet farfelu et ambitieux : réaliser un inventaire visuel complet de sa maison, en photographiant chaque jour pendant plusieurs heures une partie des 12 795 objets de son domicile. Manteaux, chaises, brosses à dents, passeports, livres… tous ces éléments domestiques se dévoilent sur fond gris perle, uniformisés et rassemblés dans des mosaïques visuelles déterminées par leur apparence, leur degré d’utilisation et leur fonction. Si l’artiste présentait cet été ce projet dans l’espace lors de la 53e édition des Rencontres d’Arles, la publication de l’ouvrage Katalog par Delpire & Co qui accompagne cette exposition propulse le lecteur dans l’intimité de sa maison, effeuillée au fil des pages. Après un divorce douloureux avec son mari et un onzième déménagement, cette démarche photographique est devenu pour Barbara Iweins un rituel quotidien presque thérapeutique. “L’inertie des objets me procure un profond sentiment de quiétude, explique la. photographe dans ce livre. Dans ce monde chaotique sur lequel je n’ai aucune prise, les objets qui m’entourent sont mes référents stables, ils me protègent”. Plusieurs textes signés par l’artiste ponctuent en effet cet ouvrage d’anecdotes et de souvenirs personnels. Au-delà des images, Barbara Iweins a également répertorié tous ces éléments matériels dans un tableur Excel pour en tirer des statistiques absurdes. Inspirée du travail poétique sur l’intime et le domestique de Sophie Calle et des réflexions plastiques et sensorielles sur la mémoire de Christian Boltanski, elle offre dans ce projet un autoportrait intime à travers des objets dont la valeur sentimentale triomphe désormais sur l’apparence des plus triviales.
“Katalog”, Barbara Iweins, éditions Delpire & Co (2022), 42€.
3. Light & Space : histoire d’un mouvement résolument contemporain
Dans les années 60, au Sud de la Californie, prend racine un nouveau mouvement artistique intitulé Light & Space. Par leur approche novatrice de l’espace, passant par les jeux de lumières, les interstices ou encore le cloisonnement des pièces, ses représentants agissent directement sur la perception des spectateurs et l’expérience esthétique tout en interrogeant les limites matérielles de l’œuvre d’art – qui ne s’arrêtent désormais plus au cadre d’une peinture ou au volume occupé par une sculpture. Parmi les précurseurs du mouvement, on compte par exemple l’artiste américain Robert Irwin et ses Dots paintings (1964-66), volumes incurvés dont l’éclairage donne l’illusion de vibrer sur la cloison claire dont ils émergent. Publié dans le cadre d’une rétrospective du mouvement ayant eu lieu à Copenhague et Berlin en 2021, l’ouvrage Light + Space retrace son histoire à travers différents textes, ses artistes emblématiques et leurs œuvres. Le livre explore également le travail de figures contemporaines s’inscrivant dans le sillage de cet art dit “phénoménologique” telles que les artistes star Olafur Eliasson et Anish Kapoor, tous deux connus pour leurs installations monumentales jouant sur les vides et les pleins, les surfaces réfléchissantes, mais aussi le régime de l’immatériel – luminosité, couleurs, fumée… Toute une partie du livre réhabilite également le travail d’artistes femmes moins reconnues que leurs homologues masculins, à l’instar de l’Américaine Mary Corse et ses tableaux et sculptures irradiant d’un blanc éclatant, expérimentations protéiformes autour de la pureté de la lumière.
“Light + Space”, éditions Walther & Franz König (2022), 49€.
4. 2 000 ans d’histoire visuelle à travers des affinités insolites
Adam Green est un collectionneur, mais pas n’importe lequel : un collectionneur d’images. Au sein de sa revue en ligne The Public Domain Review fondée en 2012, le Londonien accumule plusieurs centaines d’œuvres et d’images tombées dans le domaine public : gravures, dessins, photographies, peintures… Sous sa plume et celles de ses collaborateurs, celles-ci sont décryptées, expliquées, commentées. Toutes les époques et les régions se confondent dans cet impressionnant melting-pot visuel, qui fête cette année ses dix ans avec la publication de l’ouvrage Affinités aux éditions Thames and Hudson. Dans ce livre, l’auteur propose de parcourir près de 2 000 ans d’histoire des représentations en explorant les affinités formelles qui façonnent, modulent notre culture visuelle déjà saturée et incitent tout un chacun à s’interroger sur ses propres impressions de déjà-vu. Pour structurer ce livre d’images, pas de texte si ce n’est une courte introduction, que l’auteur conclut ainsi : “Le décor est installé – à vous de jouer”, invitant le lecteur à se prêter lui-même au jeu des ressemblances et des différences. Page après page, on chemine ainsi à travers les images choisies par l’auteur, organisées selon un point commun visuel les reliant les unes avec les autres. Ainsi, la présence d’un rond au milieu d’une œuvre permet d’associer le tableau Garçon soufflant des bulles de savon de Manet (1868) à une estampe de William Blake (1793) ou encore à une photographie d’une compétition de “pushball” de 1910… Dont le motif de cercle mène sur la page suivante à une gravure de 1749 représentant l’éclosion d’un œuf d’autruche, à l’image d’un œuf de serpent puis à une représentation du reptile, et enfin, à la sculpture antique du Laocoon. Un voyage visuel et temporel, déclinable à l’infini.
“Affinités. Un livre d’images”, éditions Thames & Hudson (2022), 55€.
5. Plongée dans le journal intime interdit de Meret Oppenheim
Figure majeure du mouvement surréaliste, l’artiste allemande Meret Oppenheim (1913-1985) reste aujourd’hui un mystère non-élucidé de l’histoire de l’art. Si l’Allemande a longtemps gravité autour de grandes noms dont l’œuvre et la vie a été richement documentée (André Breton, Alberto Giacometti, Max Ernst, Man Ray), sa vie intime est restée peu connue, suivant ses propres volontés. Car après avoir longtemps refusé des projets monographiques, Meret Oppeinheim a également interdit de son vivant la publication de ses écrits personnels, avant de s’éteindre en 1985. Le journal qu’elle commence en 1958, dans lequel elle retrace sa vie de son enfance à 1943, ne verra ainsi jamais le jour avant 2014 avec sa publication en allemand (sa langue maternelle) puis, cette année, celle de sa traduction en anglais par les éditions Scheidegger & Spiess. Dans ce beau livre aux dimensions identiques à celles du journal original de l’artiste, le lecteur est invité à parcourir ses écrits reproduits page par page : dates de rendez-vous, photocopies de brouillons, récits d’anecdotes intimes – telle une soirée passée à l’hôtel Odessa à Paris – ou encore poèmes, comme l’un qu’elle précise avoir écrit sous l’influence du haschich… Outre ces fragments de vie et de création littéraire, l’artiste a également collé dans ce journal des photographies de son enfance, d’autres avec son amante, Irène Zurkiden, ainsi que des dessins, réalisés à ses cinq ans ou à ses vingt ans, qui permettent d’observer l’évolution de sa pratique entre ses esquisses enfantines et ses premiers projets d’œuvres d’art à part entière. Une sorte d’“anti-biographie” qui prend la forme d’un passionnant pot-pourri visuel et textuel, distillant des indices pour mieux percer le mystère Meret Oppenheim.
“Meret Oppenheim — My Album”, éditions Scheidegger & Spiess (2022), 48€.
6. Au cœur des maisons des plus grands décorateurs du monde
Tout comme la garde-robe des grands créateurs de mode, l’intérieur des grands décorateurs suscite de nombreuses curiosités. Comment ces derniers aménagent-ils leurs espaces ? Et comment leur lieu de vie nourrit-il leur créativité ? Dans un livre récemment paru aux éditions Phaidon, soixante architectes et décorateurs à la renommée internationale – parmi lesquels James Huniford, Michelle Nussbaumer, Muriel Brandolini, Jean-Louis Deniot – ouvrent exceptionnellement les portes de leurs maisons et appartements. L’ouvrage transporte ainsi le lecteur de New York à Séoul, en passant par Paris, Los Angeles, Hong Kong, Londres, Milan, Madrid ou Copenhague, sans organisation chronologique ni bornes géographique, si ce n’est une succession de photographies de leurs intérieurs sur de larges doubles pages, dont les décors aussi divers que stupéfiants reflètent l’ADN de chacun des créateurs. On visite ainsi l’appartement parisien du Français Vincent Darré, dont le décor mélange ses inspirations à ses propres créations : dans son salon, des bustes en bois du 18e siècle côtoient une banquette surréaliste signée Janine Janet, entourés d’un papier peint bleu ciel réalisés par ses soins. Un univers éclectique qui contraste largement avec celui du décorateur américain Will Cooper, présenté dans les pages précédentes. Habitué à concevoir les intérieurs très colorés de grands hôtels, l’homme s’est installé en 2016 dans un petit appartement de 51 mètres carrés à Manhattan, dont l’esthétique épurée et minimaliste – sols blancs, tables blanches, murs blancs, canapés blancs – est bien éloignée de ses projets de commande. En proposant ce tour du monde visuel des salons, chambres et cuisines de ceux qui ont pour métier de les décorer, l’ouvrage satisfera la curiosité des passionnés de design et d’intérieur, leur offrant une grande dose d’inspiration.
“Intérieurs: Chez les plus grands décorateurs et architectes d’intérieur”, éditions Phaidon (2022), 49,95€.
7. Un riche panorama des femmes qui font la peinture
Aujourd’hui encore, les grands noms que l’on retient de l’histoire de la peinture sont principalement masculins, tandis que les œuvres d’artistes femmes représentent aujourd’hui à peine 4% des principales collections d’art permanentes des musées des États-Unis et d’Europe. Édité par Phaidon, le nouveau livre 300 femmes peintres répond à un double enjeu. D’une part, celui de remédier à l’invisibilisation systématique et structurelle des artistes femmes, en présentant un aperçu de trois cent pratiques artistiques d’époques et de régions diverses. “Cet ouvrage est un hommage rendu à ces femmes, peut-on lire dans son introduction. Il révèle l’histoire de plus de trois cents femmes nées dans soixante pays différents, sur une période de cinq siècles et qui ont mis en peinture tous les sujets et toutes les visions imaginables”. Les personnages candides et juvéniles peints par l’artiste française Marie Laurencin au 19e siècle côtoient ainsi les paysages abstraits et les fleurs érotiques de l’Américaine Georgia O’Keeffe représentés au début du 20e siècle, ainsi que les visages mélancoliques et colorés signés par la peintre contemporaine Claire Tabouret. Mais la réside le second enjeu du livre. Sous forme de glossaire classé par ordre alphabétique se succèdent ainsi natures mortes, portraits, abstractions ou encore autoportraits, accompagnés de textes illustrant la grande diversité de leurs pratiques sans les classer ni les essentialiser, évitant la définition réductrice et fallacieuse d’un art dit “féminin” dans laquelle s’échouent encore malheureusement de nombreux projets d’expositions récents. Un parti pris assumé dès le choix du titre 300 femmes peintres, où terme “femme” apparaît barré pour insister sur le plus important : non pas le genre des artistes, mais la richesse et l’audace de leur approche picturale.