9 mai 2023

Qui est Olivia Dean, la révélation soul adoubée par Chanel ?

Influencée par The Supremes, Lauryn Hill ou Amy Winehouse, la chanteuse anglaise Olivia Dean dévoile, ce vendredi 30 juin, son premier album, Messy. Elle a accepté de répondre aux questions de Numéro et évoque ses compositions intemporelles et sa phobie des papillons…

Propos recueillis par Alexis Thibault.

Oivia Dean photographiée par Sophie Smith-Roberts. Crédits: Universal Music.

Il est parfois laborieux de converser avec des musiciens dont le talent relève de l’évidence… Ceux dont la candeur un peu magique croise une habileté inexplicable. On a toujours l’impression de passer à côté de quelque chose et de se confronter à des lieux communs. Olivia Dean est de cette trempe. Ses inspirations sont explicites. Ses compositions d’une maturité ahurissante. En novembre 2022, à Paris, la Britannique conquiert la foule de l’Arte Festival, qui se presse autour d’une scène circulaire, à la Gaîté Lyrique. Ce jour-là, elle vole inconsciemment la vedette à son homologue Loyle Carner, le rappeur qui lui succède. Éloquente, vulnérable et, il faut le dire, particulièrement charismatique, la musicienne de 24 ans s’est imposée outre-Manche et débarque aujourd’hui dans l’Hexagone. Élevée par un père anglais et une mère d’origine jamaïcaine et guyanaise, chanteuse de gospel puis collaboratrice du groupe de drum and bass Rudimental, la Londonienne dévoilera son premier album ce vendredi 30 juin. Dans ce disque intitulé Messy – “désordonné” en français – le jazz et la bossa-nova croisent “une soul honnête et réconfortante” et se déploient dans une flopée de chansons d’amour. Olivia Dean rêve de voir son nom en grand sur l’affiche du Glastonbury Festival et jalouse souvent le déhanché de Beyoncé. Elle craint qu’on puisse la reconnaitre un jour dans un pub anglais et angoisse à l’idée de ne plus rien ressentir lorsqu’elle chante… Rencontre.

Numéro: Lorsque vous étiez adolescente, quelle vue aviez-vous depuis la fenêtre de votre chambre ?

Olivia Dean : Wow, je ne m’attendais pas à cette question…

 

Pourquoi ? Vous n’aviez pas de fenêtre ?

[Rires.] Non, c’est plutôt parce que je n’ai pas grandi dans le centre de Londres mais dans les environs de l’East London. Je vivais près de la forêt et d’un grand lac, je pouvais faire du vélo et me balader un peu partout. Disons que j’ai eu une enfance heureuse même si j’ai longtemps été la seule fille métisse de ma classe… Ce n’est que bien plus tard que je me suis rendu compte que je ne l’avais pas si bien vécu que ça. En fait, je vais bientôt retourner là-bas. J’ai vécu dans le sud de Londres au cours des cinq ou six dernières années, mais je ressens le besoin de retrouver ma famille.

 

Et quels conseils donneriez-vous à l’Olivia Dean de 16 ans ?

Je lui dirais de ne jamais hésiter à faire les choses qu’elle aime vraiment. De commencer le yoga beaucoup plus tôt. Et d’arrêter de se lisser les cheveux parce qu’elle risque de vraiment les abimer !

 

J’espère que vous n’êtes pas déjà agacée par mes questions…

Non pas du tout, j’aime beaucoup ce genre de conversation. Certains journalistes lisent mes interviews précédentes, citent mot pour mot ce que j’ai dit, puis me posent exactement la même question. C’est étrange comme façon de faire vous ne trouvez pas ?

 

Je ne leur jette pas la pierre, cela a certainement dû m’arriver un jour. Certaines questions vous agacent-elles particulièrement ?

Ça arrive oui : “Qui est votre artiste favori ?” ou “Quelles sont vos influences ?” par exemple. Je comprends bien que ce sont des questions importantes mais j’y ai déjà répondu des centaines de fois. On me demande aussi si je souhaite suivre les traces de ma mère qui a eu des responsabilités politiques… Et bien non, je veux juste être chanteuse. [Rires.]

 

Et les comparaisons avec d’autres artistes ? Les supportez-vous ?
Les comparaisons m’agacent lorsqu’elles sont paresseuses. On évoque toujours Jorja Smith, Celeste ou Joy Crooks. Des femmes fantastiques auxquelles je pense que l’on m’associe simplement parce qu’elles sont métisses. Comme si les gens écoutaient la musique avec leurs yeux.

 

 

“J’ai parfois l’impression que l’on m’a dérobé ma candeur. J’essaie donc de retrouver mon innocence à travers de nouvelles formes d’art.”

Êtes-vous inquiète à l’idée que vos compositions finissent un jour par tourner en rond ?

Pas vraiment. En intitulant cet album Messy [Désordonné], je souhaitais justement explorer différents genres musicaux. Mon prochain disque pourrait tout aussi bien être une suite de morceaux disco que des titres en guitare-voix. En fait, je crois surtout que j’ai peur qu’un jour, je ne m’amuse plus. Que je ne ressente plus rien lorsque je chante… Il arrive parfois que des artistes se perdent un peu et que leur passion pour la composition se désagrège. Comme un rupture amoureuse. Avant de signer dans un label, je me contentais d’écrire des chansons chez moi, par pur plaisir, sans imaginer que des gens seraient susceptibles de les écouter. Aujourd’hui, lorsque je compose un morceau, j’ai toujours cette petite voix au fond de ma tête qui me répète qu’il va être diffusé, partagé et écouté. J’ai parfois l’impression que l’on m’a dérobé ma candeur. J’essaie donc de retrouver mon innocence à travers de nouvelles formes d’art. Le dessin par exemple. Il est très amusant de ne s’intéresser qu’au processus de création plutôt qu’au résultat final. En musique, je ne peux plus vraiment faire ça. Mais rassurez-vous, je ne suis pas du tout en train de me plaindre !

 

Pourtant ce n’est pas un dessin mais une photographie qui apparaît sur la pochette de votre album. Un portrait de vous.

Vous me demandez poliment pourquoi j’ai voulu mettre ma grosse tête sur la pochette c’est ça ? [Rires.]

 

Pas du tout ! Et je ne l’aurais jamais formulé de cette façon… 

Ma musique parle… de moi. Mon identité et mes histoires personnelles restent le fil conducteur de ce disque. Peut-être que mes arrière-arrière-petits-enfants sauront ce que je ressentais lorsque je n’avais que 23 ans. Donc une photo de moi, à 23 ans, était suffisante. Rien d’abstrait. Et puis… je crois que j’aime bien cette photo aussi. [Rires.]

 

Quelles images vous viennent en tête lorsque vous composez ?

J’adore le cinéma et la photographie mais c’est plutôt quelque chose que je relie à la musique a posteriori. Disons que je me raccroche au texte qui m’inspire davantage que les éléments visuels. Peut-être qu’un jour j’écrirai un roman, ou plutôt un recueil de poésie. Figurez-vous que, si je n’avais pas été musicienne j’aurais voulu être professeure d’anglais, promeneuse de chiens ou fleuriste.

 

Fleuriste ?

Souvent la musique peut sembler assez complaisante. Vous êtes derrière un piano à parler de vous et de vos malheurs. C’est un peu moi, ma vie et encore moi. J’aime beaucoup cette profession qui vous permet d’être entourée de belles choses, des fleurs en l’occurrence, et de rencontrer des inconnus pour lesquels vous arrangez des bouquets destinés aux moments les plus importants de leur vie. Et lorsque vous rentrez chez vous le soir, vous n’êtes pas obstinée par vos fleurs. Enfin, je crois. Dans mon esprit, cela ressemble à un travail plutôt paisible.

 

Êtes-vous très émotive ?

Pas vraiment. Disons que je pleure en privé, rarement devant les gens.

 

Ancienne timide ?

Ancienne timide. Exactement. D’ailleurs, lorsque j’ai annoncé à ma mère que je voulais devenir chanteuse elle m’a rétorqué : “Hein ? Mais tu es ultra timide…” J’ai fini par suivre des cours de chant et j’ai découvert les comédies musicales. Lors de mon premier concert, j’ai dû chanter dos au public parce que je pleurais trop… D’ailleurs, j’ai longtemps préféré chanter les histoires des autres. Rarement les miennes.

 

Alors c’est fini ? Vous n’avez plus peur de rien ?
Si… Des guêpes et des papillons. [Rires]

 

Quelle est la plus belle chanson que vous ayez composée ?

C’est drôle, je n’y avais jamais vraiment réfléchi. Je crois que c’est Slowly, un morceau que j’ai écrit lorsque je n’avais que 16 ans. Une chanson qui évoque vraiment la vulnérabilité. Quoique, finalement, je crois que je vais changer d’avis : la chanson Carmen est la plus aboutie selon moi. Il n’y a pas si longtemps, je me suis retrouvée dans une drôle de situation : j’ai joué avec Raphael Saadiq à Los Angeles. Il avait rendez-vous avec D’Angelo et j’ai eu l’occasion de participer à une petite session musicale en studio, mais j’étais particulièrement nerveuse. Il est très délicat d’être créatif lorsque vous êtes intimidé par un autre artiste. Vous être pétrifié et vous n’osez plus rien dire. Et en studio, sur les dix idées que vous proposerez, neuf seront vraiment mauvaises. Pour autant, il faut bel et bien subir ces petits moments de malaise pour arriver à la très bonne idée qui fera, peut-être, un bon morceau.

 

 

Messy, d’Olivia Dean, disponible le 30 juin.