26 mai 2023

Revivez la masterclass de Quentin Tarantino : « Moi je ne vais pas spontanément vers les gens les plus populaires »

Ce jeudi 25 mai, en marge du Festival de Cannes, le réalisateur Quentin Tarantino donnait une masterclass dans la salle historique de la Quinzaine des Cinéastes. Numéro était sur place et fait le point.

La masterclass de Quentin Tarantino à la Quinzaine des Cinéastes © Guillaume Lutz / Quinzaine des Cinéastes

La salle historique de la Quinzaine des Cinéastes (ex-Quinzaine des réalisateurs) frétillait jeudi 25 mai après-midi pour accueillir l’un des rares mythes vivants du cinéma américain, Quentin Tarantino, vénéré comme une rockstar par un public chauffé à blanc. Plutôt que de donner une masterclass dans le « grand » festival, l’auteur de Reservoir Dogs a préféré se montrer dans l’une de ses sections parallèles, associée aux découvertes et aux expérimentations depuis 1969. Le tout, quelques semaines après avoir annoncé que le film qu’il allait tourner cet automne serait le dernier. Une manière de garder sa street cred intacte? « On n’est pas au Palais ! » a d’emblée expliqué le fringant néo-sexagénaire pour demander au public de mettre la pédale douce sur la standing ovation.

 

Ce qu’il faut retenir de la masterclass de Quentin Tarantino au Festival de Cannes 2023

 

Une projection surprise était annoncée, mais ceux qui espéraient un nouveau film inédit du master ont dû se rendre à l’évidence : Quentin Tarantino était à Cannes pour accompagner en semi-touriste la sortie française de son livre Cinema Speculation, sorti en mars dernier aux éditions Flammarion. Il a donc présenté puis commenté l’un des piliers de sa cinéphilie, vu avec sa mère la semaine de sa sortie en 1997 dans un cinéma de Los Angeles, et auquel il consacre un chapitre de son ouvrage : Rolling Thunder (Légitime violence) de John Flynn, une série B qui raconte la vengeance d’un ancien soldat dont la femme et le fils sont assassinés juste après son retour, avec William Devane et Tommy Lee Jones. Un joli film dont il a loué ensuite les détails découverts « à chaque vision », comme cette manière qu’a le héros, pourtant assoiffé de vengeance, de replacer tendrement le drap sur sa petite amie endormie quand il la quitte pour toujours. « Adolescent, c’est le film qui m’a autorisé à écrire sur les films, à me sentir critique avant d’être cinéaste, et pas seulement pour les scènes de coups de feu. J’adore voir Rolling Thunder avec des gens, comme aujourd’hui, car il y a toujours des réactions. »

Reservoir Dogs (1992) de Quentin Tarantino © Live Entertainment

« Tout le monde aime Spielberg et Scorsese, mais moi je ne vais pas spontanément vers les gens les plus populaires. » Quentin Tarantino

 

Le plus intéressant avec Tarantino reste cette impression unique qu’il parle depuis l’intérieur du cinéma, ce lieu bizarre et intense où les films mènent leur vie propre et envahissent la nôtre. S’il n’est pas forcément un grand analyste, l’auteur de Reservoir Dogs (refusé à la Quinzaine des réalisateurs en 1992, ironie du sort) a encore démontré lors de cette conversation sa passion intacte et communicative, devisant sur Taxi Driver et Martin Scorsese, expliquant préférer Brian de Palma dans la bande des « movie brats » constituée avec Scorsese, Coppola, Spielberg ou encore George Lucas dans les années 1970-1980. « Tout le monde aime Spielberg et Scorsese, mais moi je ne vais pas spontanément vers les gens les plus populaires. Pour De Palma, on pouvait se battre. Les gens disaient qu’il piquait tout à Hitchcock, et moi je répondais qu’il était meilleur que lui ! On en venait presque aux mains. J’aime la manière qu’a De Palma de mettre la caméra en premier. Dans mes films, on voit parfois des gens qui parlent autour d’une table. Chez lui, cela arrive très peu. Il veut que le public réponde à une image. »

 

Interrogé par le nouveau délégué général de la Quinzaine des cinéaste, Julien Rejl, Quentin Tarantino a ensuite devisé sur la violence au cinéma, expliquant son attirance pour sa représentation (« Ça m’éclate« ) tout en posant des limites, celles des violences sur les animaux. « J’inclus les insectes. Je ne paie pas ma place au cinéma pour voir des vrais morts. Que ce soit un chien, un lama ou une mouche, je refuse cela. La raison pour laquelle je supporte la violence à l’écran, c’est qu’elle est construite. On est comme des gamins fascinés devant elle. Pour moi, le vrai problème, ce n’est pas la violence, c’est l’incompétence des cinéastes. » Quentin Tarantino a ensuite prôné la liberté des artistes et rappelé son intérêt pour le cinéma quand il n’est pas regardé d’un point de vue moral. Donnant l’exemple du  classique Massacre de Fort Apache de John Ford, le réalisateur de Pulp Fiction a exprimé ses doutes sur l’approche politique du grand auteur de westerns par rapport aux Amérindiens : « Est-ce que j’ai un problème avec des choses horribles que fait le personnage de Henri Fonda dans ce film ? Oui. Est-ce que le personnage de John Wayne l’absout ? Oui. Mais dans les années 1940, les gens n’étaient pas scandalisés. Le cinéma représente l’époque, il faut en parler, l’examiner, pas le jeter à la poubelle. »

La masterclass de Quentin Tarantino à la Quinzaine des Cinéastes © Guillaume Lutz / Quinzaine des Cinéastes

« Je ne savais pas à l’avance que j’allais écrire un film où je tue Hitler à la fin. » Quentin Tarantino

 

Cette allusion à une hypothétique « cancel culture » a surtout donné l’occasion à Tarantino de démontrer sa foi intacte dans les possibilités libératrices du cinéma, racontant notamment comment il a eu l’idée folle d’imaginer la mort d’Adolf Hitler dans son excellent Inglourious Basterds, sorti il y a déjà quatorze ans. « Je ne savais pas à l’avance que j’allais écrire un film où je tue Hitler à la fin. Et puis je commence à écrire une séquence, tous ces gens sont au cinéma et je sens que quelque chose peut marcher. Je me suis acculé tout seul dans l’écriture, comme j’aime le faire. Il était 2h du mat, j’écoutais de la musique. J’essayais de trouver des portes de sortie pour ne pas faire ce truc dingue. J’imaginais une doublure d’Hitler, qu’il fallait évacuer par la porte arrière du cinéma. Et là, je me dis que je n’ai pas du tout envie de filmer ça. Je me pousse plus loin : ‘‘Vas-y, tue-le!’’ C’était mon histoire, j’avais le droit. J’ai pris un papier, j’ai écrit ‘’Just fucking kill him’’ et je l’ai posé ma table de nuit. En me réveillant le lendemain, je trouvais toujours que c’était une bonne idée. »

 

Et pour son prochain film, quel sera la bonne idée ? On sait déjà que ce dixième long-métrage pensé comme un adieu au cinéma s’appellera The Movie Critic. Mais « QT » n’a pas voulu en dire plus au public cannois, gardant le mystère sur ses intentions. C’est à un journaliste américain du site Deadline qu’il a expliqué que son personnage principal serait inspiré par… un critique porno des années 1970. « Il faudra que vous voyiez le film pour savoir », a conclu Tarantino. Peut-être à Cannes 2024 ?