Aliens, braquages et pierres précieuses : les confidences du joaillier Quentin Pontonnier (Tant d’Avenir)
Damso, Sofiane Pamart ou Jazzy Bazz se sont déjà épris de ses bijoux… À la tête du label Tant d’Avenir depuis 2017, le joaillier Quentin Pontonnier a accepté de répondre aux questions indiscrètes de Numéro et évoque sa nouvelle collection inspirée des ovnis, le rôle des rappeurs dans le développement de sa marque ainsi que les dangers de sa profession…
Propos recueillis par Alexis Thibault.
Qui est Quentin Pontonnier, fondateur de Tant d’Avenir
Il suffisait d’observer les photos de famille de Quentin Pontonnier pour deviner la passion qui l’habiterait plus tard… À l’époque, l’encre ne recouvre pas encore son torse et ses avant-bras mais le Parisien arbore déjà de fausses boucles d’oreilles et des scoubidous roses aux poignets tandis qu’un collier de surfeur en bois décore son cou juvénile.
Des années plus tard, le jeune homme au look de skateur et à la tignasse brune défend sa propre maison de joaillerie dont le nom lui a été soufflé par sa sœur : Tant d’Avenir. Il évoque l’intemporalité du bijou susceptible d’être transformé à l’infini. Depuis 2017, Quentin Pontonnier habille les corps. Mais il a préféré le métal au tissu. Des colliers, des bagues des boucles d’oreilles et des chaînes en argent qui transforment immédiatement les silhouettes et attirent le regard des passionnés et des néophytes. Très vite, les pièces de monnaie qu’ils détournaient à ses débuts sont devenues des robes en argent nécessitant parfois 300 heures de travail.
Dévoilée il y a quelques jours, sa dernière collection de bijoux s’inspire cette fois de visiteurs venus d’ailleurs : le joaillier a imaginé des bijoux extraterrestres aux formes organiques qui s’écoulent lentement le long des phalanges de ses clients, comme s’ils cherchaient enfin à s’en échapper… Rencontre.
L’interview de Quentin Pontonnier, créateur de bijoux
Numéro: Il paraît que les joailliers sont en voie de disparition…
Quentin Pontonnier: Bon nombre d’entre eux se sont reconvertis parce qu’ils ne trouvaient pas de travail. Et seuls les plus expérimentés se font embaucher. C’est un marché très compliqué qui vous force à entreprendre et à ouvrir votre propre boutique. Aujourd’hui, les trois quarts des bijoux ne sont pas réalisés par des bijoutiers mais par des designers. Ça, vous le ressentirez dans la qualité du produit, le choix des pierres ou même l’ajustement d’une bague sans confort ni ergonomie. En ce qui concerne la haute joaillerie, c’est un milieu très fermé : nous nous connaissons presque tous et vous ne pourriez pas y accéder comme ça. C’est une petite communauté qui s’entraide et partage un certain nombres de codes. Par exemple, un designer n’aura pas accès aux mêmes fournisseurs qu’un joaillier. Il y a tout un langage à connaître et les transactions s’effectuent dans un appartement sécurisé.
Les joailliers sont-ils prêts à voler leurs propres homologues ?
Si vous voulez faire ce métier, vous aurez accès à un coffre-fort et on vous posera un diamant dans la main dès votre premier stage. La première règle que l’on vous enseigne c’est qu’un bijoutier ne vole pas. Arnaquer un fournisseur ou un autre bijoutier revient à se griller partout. Dans le milieu, tout le monde sera au courant en à peine deux secondes. J’ai entendu très peu d’histoires à ce sujet, vous savez. Un bijoutier qui en vole un autre, cela reste extrêmement rare.
Êtes-vous devenu complètement paranoïaque ?
On nous apprend très tôt à vérifier que nous ne sommes pas suivis. À ne jamais donner notre véritable adresse. Des petits codes susceptibles de vous éviter de gros ennuis. Au début, vous trouvez ça rigolo parce que cela rappelle un peu les films d’espionnage, et puis, un jour, on vous raconte ce qui est arrivé à l’un de vos homologues… Là, tout de suite, c’est moins drôle. Vous comprenez alors pourquoi un service de sécurité est indispensable. La situation est assez simple : si vous vous faites braquer ou séquestrer, ne faites rien. De toute façon vous ne pouvez rien faire… Les professionnels connaissent déjà tout de vous et, a priori, ils ne vous feront aucun mal, ils viennent juste récupérer leur butin. Le plus effrayant, ce sont les petites frappes capables de braquer une boulangerie à 6h00 du mat’ pour quinze euros de fond de caisse. Eux peuvent perdre leur sang froid à tout moment… et tirer. La petite racaille, c’est elle le vrai cauchemar des bijoutiers.
Lorsque j’ai commencé, je glissais mes bagues dans de petites pochettes et je les filais discrètement aux physios des boîtes de nuit.
Comment puis-je reconnaître un bijou Tant d’Avenir en un seul coup d’œil ?
Il y a une dizaine d’années, les bijoux pour hommes étaient essentiellement des bagues de bikers ostentatoires et souvent vulgaires. Il n’existait pas vraiment d’entre-deux chic. Moi, j’ai commencé à créer des bijoux parce que je ne trouvais aucune pièce qui me convenait en termes de design, de matériau et de qualité. Ma première bague était en quelque sorte LE bijou parfait à mes yeux, l’objet dont j’avais toujours rêvé : une chevalière ronde avec une pièce de monnaie en or à l’intérieur. Une bague sertie avec quatre colonnes de part et d’autre, comme si j’avais intégré un carré dans un cercle. Depuis, je crée des bijoux unisexes susceptibles d’être portés par n’importe qui. Pendant longtemps, on disait que les colliers, bagues et boucles d’oreilles Tant d’Avenir s’inspiraient directement de la Grèce antique. En réalité, c’est plus précis que ça. Mes bijoux faisaient référence à l’architecture haussmannienne après les transformations de Paris sous le Second Empire [sous la direction de l’empereur Napoléon III et de Georges Haussmann, alors préfet de la Seine]. Eux s’étaient effectivement inspirés de la Grèce antique et de l’art romantique. Je voulais surtout que les clients de Tant d’Avenir reconnaissent la griffe dans la qualité des matériaux, l’épaisseur des métaux et la qualité des pierres. Notre design crée un certain équilibre dans le bijou. Nous aimons décorer l’intérieur de la bague et faire apparaître la marque du poinçon.
Que pensez-vous de la phrase : “C’est très beau, j’aime beaucoup, mais c’est un peu trop cher pour ce que c’est” ?
Phrase que les joailliers entendent bien trop souvent. [Rires.] Je ne suis absolument pas d’accord avec ce point de vue mais je peux évidemment le comprendre. Non, ce n’est pas trop cher. Il faut prendre en compte le coût des matières premières et du savoir-faire des artisans. Ma gamme de bijoux n’est pas de la “haute joaillerie”, elle est plus orientée “fantaisie”. Mais chez Tant d’Avenir, nous voulons absolument proposer ce qu’il y a de mieux, et cela, à tous les niveaux. Le coût sera donc en adéquation avec le service et le produit proposé. Nos pièces seront moins chères qu’une bague Hermès, pourtant, en termes de qualité, nous proposons presque un meilleur service de fabrication ! Dans une collection, parmi la dizaine de bijoux, trois ou quatre seront de petites pièces au prix inférieur à 200 euros et destinées à du mass market. De petits colliers un peu plus commerciaux que le reste des pièces.
Nous avons tenté de reproduire la forme des vaisseaux spatiaux et des câblages tout en conservant une dimension organique. Il fallait que certaines pièces semblent couler sur la peau voire s’envoler…
Vous arrive-t-il de façonner des bijoux que vous n’appréciez même pas vous-même ?
Pour ne rien vous cacher, à chaque fois qu’une de mes collections sort… je ne peux déjà plus me la voir en peinture ! Dessin, modifications, fabrication finale… J’ai travaillé pendant un an à deux ans dessus. Dans ma tête, je suis déjà passé à autre chose. Ce qui est assez drôle, c’est que notre clientèle a énormément évolué avec le temps. Désormais, nos collections unisexes se diversifient davantage et notre clientèle est de plus en plus hétéroclite. Nous accueillons l’adolescent qui a demandé une belle bague à ses parents pour ses 18 ans, la mère de famille un peu bourgeoise, des avocats, des médecins, des musiciens et pas mal de gens de la mode.
Était-ce la clientèle que vous visiez à vos débuts ?
Lorsque j’ai commencé, je glissais mes bagues dans de petites pochettes et je les filais discrètement aux physios des boîtes de nuit. Une belle vitrine et la meilleure solution pour entrer dans n’importe quel club ! [Rires.] Tous les soirs, je distribuais des cartes de visite aux fêtards et, parfois, je leur offrais même quelques bagues. C’est comme ça que tout a commencé, avec la clientèle de la nuit…
Puis les rappeurs sont entrés dans la danse…
Le premier qui m’a vraiment fait connaître, c’est Jazzy Bazz, au moment où Nekfeu commençait à exploser tous les records [Jazzy Bazz est memmbre du collectif 1995 auquel appartient aussi Nekfeu.] À ce moment là, moi, les nouveaux rappeurs français, ce n’était pas vraiment ma tasse de thé. J’étais resté sur le rap old school. Bref, toujours est-il que j’ai prêté une dizaine de bagues à Jazzy Bazz qui m’a fait comprendre qu’il aimait tout. Très sympathique de sa part mais, à cette époque, il avait l’équivalent de ma société entière sur les phalanges. Ces dix bagues, c’était toute ma trésorerie. Il m’a dit : “Fais moi confiance, je te prends les bagues, et je te fais super pub !” Il a joué le jeu et mes bijoux se sont retrouvés sur de grandes affiches et de nombreuses publications sur les réseaux sociaux… C’est vraiment comme ça que tout a débuté. Quelques années plus tard, le rappeur Damso a porté à son tour mes bijoux. Un artiste très chic. Très élégant. Je voulais lui offrir mes créations mais il a insisté pour tout payer de sa poche en me disant : “Je gagne bien ma vie et je respecte ton travail donc c’est normal de te soutenir.”
C’est si rare que cela ?
Disons que les artistes sont devenus des panneaux publicitaires sur pattes et que certains reçoivent tellement de cadeaux qu’ils ne cherchent même plus à savoir qui leur a envoyé. Sachant que nous sommes des artisans au sein d’une petite boîte, ça me fait mal au cœur lorsqu’un artiste se permet de garder des bijoux après un shooting ou le tournage d’un clip sans même me demander l’autorisation.
Je fonds en larmes au moins une fois par mois. Combien de fois j’ai appelé ma mère en lui disant que je voulais tout arrêter ?
Votre profession pourrait-elle exister aujourd’hui sans l’influence de la musique ?
Que fait un rappeur après avoir vendu ses premiers albums ? Il file dans une bijouterie pour s’offrir du bling. Le bijou a toujours été un symbole de réussite. Inconsciemment, j’ai certainement versé moi-même dans quelque chose de similaire. Je viens d’un milieu modeste et porter autant de bijoux me permettais de prouver quelque chose. D’ordinaire, je n’aime pas quand c’est “bling”. Paradoxalement, je suis le premier à en faire trop ! J’aime ce jeu de l’accumulation. Le fait que ce soit parfois too much. Disons que cela fait partie de mon personnage : j’essaie d’être ma propre vitrine [Rires.] En règle générale, il faut que le bijou reste subtil. Si vous portez des boucles d’oreille, vous éviterez d’habiller votre cou, de porter des bagues, une montre ou trop de bracelets.
Quelles sont les différents étapes de création d’un bijou ?
La conception peut débuter d’une exposition, d’une phrase dans un bouquin ou d’un voyage. Je travaille souvent sur différentes collections en même temps, je vais un peu dans tous les sens dans mes carnets… Il n’existe pas vraiment de règle ou de notice mais, moi, je fonctionne comme cela. D’abord il y a le patron ou le dessin technique. Ensuite, nous développons un prototype en cire ou en 3D pour mieux se rendre compte du volume de la pièce. Puis nous la sortons en métal pour la mouler et pouvoir faire de la petite série. Pendant ces différentes phases, je collabore étroitement avec Samia Giobellina, ma styliste, qui peut aussi donner son avis sur un dessin. Nous développons évidemment davantage de modèles que ceux que vous trouverez dans la collection car tous ne sont pas retenus. Nous choisissons ensuite les couleurs de pierres et les modèles définitifs.
Qu’est-ce qui a bien pu vous passer par la tête pour dédier une collection aux extraterrestres ?
L’inspiration de base était le film Alien (1979) de Ridley Scott. Nous avons tenté de reproduire la forme des vaisseaux spatiaux et des câblages tout en conservant une dimension organique. Il fallait que certaines pièces semblent couler sur la peau voire s’envoler. Des modèles moins racés, plus aériens et beaucoup plus doux.
Quand avez-vous fondu en larmes pour la dernière fois ?
Je fonds en larmes au moins une fois par mois. Financièrement et créativement, on se sent souvent bloqué lorsqu’on a une entreprise en France. Parfois, j’ai le sentiment que tout ce que je fais est nul. Vous ne pouvez pas savoir à quel point le moindre compliment peut être bénéfique. J’en ai pris de coups. Mais il ne faut jamais rien lâcher. Combien de fois j’ai pleuré en rentrant chez moi ? Combien de fois j’ai appelé ma mère en lui disant que je voulais tout arrêter ?
Que vous a-t-elle répondu ?
Arrête tes conneries ! Tu es doué pour créer des bijoux… donc tu vas continuer.
Les collections de bijoux Tant D’Avenir sont à retrouver sur tantdavenir.com ou au 44, rue Albert Thomas 75010 Paris. Du mardi au vendredi, de 11h à 19h et de le samedi de midi à 19h. Instagram @tantdavenir.