7 oct 2022

Anna Mouglalis et Clotilde Hesme nous parlent du livre culte Sorcières de Mona Chollet

En 2022, l’essai culte et féministe Sorcières (2018) de la journaliste et auteure française Mona Chollet faisait l’objet d’une lecture musicale électrique au théâtre de l’Atelier à Paris. Parmi les voix qui célébraient sur scène « la puissance invaincue des femmes » (selon les mots de Mona Chollet) se trouvaient deux superbes actrices dont l’intelligence la dispute au magnétisme : Anna Mouglalis et Clotilde Hesme. Pour la journée internationale des droits de la femme, retour sur notre rencontre avec deux voix du mouvement #MeToo qui ont souvent incarné des insoumises à l’écran.

propos recueillis par Violaine Schütz.

Anna Mouglalis et Clotilde Hesme au Théâtre de l’Atelier à Paris, en 2022, par Julien Mignot.

En quelques années, l’essai Sorcières (2018) de la journaliste et auteure française Mona Chollet est devenu un ouvrage culte (écoulé à 250 000 exemplaires), de ceux qui changent totalement notre champ de vision une fois dévorés. Mais l’objet n’a pas fini de connaître de nouvelles vies. En 2022, le livre féministe, drôle et érudit consacré à la figure de la sorcière à travers les âges faisait l’objet d’une lecture musicale, électrique et envoûtante.

 

Tous les soirs de représentation, sur la scène du théâtre de l’Atelier à Paris, des musiciennes, actrices et chanteuses se relaient pour donner corps à des textes à la fois cinglants et poignants sur les femmes célibataires, sans enfant, trop âgées ou précaires, souvent vues comme des personnages maléfiques et couvertes d’opprobre.

 

Parmi ces voix qui célébraient « la puissance invaincue des femmes » (selon les mots de Mona Chollet) se trouvaient deux superbes actrices dont l’intelligence la dispute au magnétisme : Anna Mouglalis et Clotilde Hesme. Les deux artistes, qui ont souvent incarné des insoumises et des révoltées à l’écran, sont aussi des voix, aux côtés de Judith Godrèche, du mouvement #MeToo en France. Alors que le monde fête la journée internationale des droits de la femme, retour sur notre rencontre avec les deux comédiennes sur leur vision de la sorcière, leur métier et le féminisme.

 

L’interview d’Anna Mouglalis et de Clotilde Hesme sur le livre Sorcières de Mona Chollet

 

Numéro : Quand avez-vous découvert le livre de Mona Chollet. Et qu’avez-vous ressenti en le lisant ?

Anna Mouglalis : Je l’ai découvert à sa sortie, en 2018. J’en avais entendu parler avant sa publication et j’ai eu du mal à le trouver car ça a été un vrai phénomène de librairie, dès le départ, ce qui est une bonne chose car il s’agit d’un essai. Je lis beaucoup d’essais depuis quelques années. Mais ce que j’aime dans ce livre, c’est que c’est un essai accessible, qui vulgarise une pensée féministe. Mona Chollet y multiplie les références à la pop culture et cite autant Monica Bellucci que des sociologues. Il n’y a pas de “gros mots” dans ce livre, mais ça reste une analyse exhaustive de la figure de la sorcière.

Clotilde Hesme : J’ai lu Sorcières à sa sortie. Un ami acteur, grand défenseur des femmes libres et indépendantes, me l’a offert. C’est une lecture dans laquelle je me suis retrouvée, reconnue et qui, pendant cette période de grand bouleversement intime et politique, m’a fait du bien. Cet ouvrage parle à toutes les femmes et permet de comprendre qu’il y a d’autres voies possibles, qu’on peut se défaire des normes, des injonctions. Il est très inclusif. Rien n’y est sectaire. On nous redit seulement la possibilité d’être en marge. On valorise d’autres chemins, d’autres possibilités.

 

En quoi le texte de Mona Chollet vous parle-t-il ?

Anna Mouglalis : Je pense que c’est un livre nécessaire car il soulève des problématiques féministes majeures. Il parle de femmes qui ne veulent pas être réduites à leurs fonctions reproductrices et à leur utérus, ni être définies par le male gaze. Mona Chollet parle du corps-objet que la société désirerait voir doté d’une éternelle jeunesse, d’intersectionnalité, de droits reproductifs… On apprend des choses essentielles, notamment que, contrairement aux idées reçues, les femmes qui choisissent de ne pas avoir d’enfant ne viennent pas de milieux privilégiés et ne sont pas blanches. Ce sont en particulier des femmes afro-américaines précaires, selon des études chiffrées citées par l’essayiste. On apprend aussi qu’il y a en fait, en dépit des préjugés, de moins en moins de femmes qui ne sont pas mères. Ça remet à jour certaines perceptions.

Clotilde Hesme : Grâce à Sorcières, j’ai découvert non seulement la dimension historique de la chasse aux sorcières mais aussi ce qu’en ont dit d’autres penseuses, des féministes comme Gloria Steinem ou Susan Sontag. Et j’ai découvert des mouvements américains tels que W.I.T.C.H (Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell).

 

Quel est votre passage préféré du livre ?

Anna Mouglalis : J’ai trouvé l’introduction très intéressante. Mona Chollet nous rappelle ce qu’était la chasse aux sorcières, qu’elle a vraiment existé et qu’elle persiste aujourd’hui sous différentes formes. Des dizaines de milliers de femmes ont été tuées juste parce qu’elles étaient des femmes. Et ce n’est pas fini. Quand on voit le traitement réservé aux femmes à la retraite, très précaires et le montant de leurs retraites, indigne, on s’aperçoit que certaines femmes continuent à être traitées différemment. Alors quand monsieur Julien Bayou rapproche le “féminisme” et « maccarthysme  » [période de « chasse aux sorcières » où les communistes étaient traqués aux États-Unis], c’est assez déplacé. 

Clotilde Hesme : J’aime beaucoup lorsque Mona Chollet cite Sophie Fontanel : « La représentation de la femme de cinquante ans, de sa beauté, de sa liberté, reste une terre inexplorée. » Les choses bougent mais il y a encore un trop grand déficit de représentation des femmes de 50 ans et on ne laisse pas suffisamment les actrices vieillir naturellement. La pression est forte. À 40 ans, j’ai eu mes premiers cheveux blancs et j’ai dû tenir tête aux coiffeurs de plateaux qui voulaient les teindre alors que le rôle ne le demandait pas forcément. Ce n’est pas un combat anodin, c’est celui de la représentation. Si on n’autorise pas les actrices à montrer leurs cheveux blancs, comment voulez-vous que les femmes s’autorisent à ne plus teindre les leurs ?

Anna Mouglalis, Clotilde Hesme, Eye Haïdara, Mélissa Laveaux, Anne Paceo et Aure Atika au théâtre de l’Atelier à Paris, en 2022, par Julien Mignot.

« Celles qui ont été qualifiées de sorcières étaient en fait des veuves, des célibataires ou des femmes d’âge mûr, soit toutes celles qui n’étaient pas sous le joug d’une domination masculine. » Anna Mouglalis

 

Est-ce qu’en tant qu’actrices et femmes artistes et indépendantes, vous vous sentez aussi un peu « sorcières » ?

Anna Mouglalis : Tout l’intérêt du livre est de remettre en question ce terme de « sorcière ». Celles qui ont été qualifiées comme telles étaient en fait des veuves, des célibataires ou des femmes d’âge mûr, soit toutes celles qui n’étaient pas sous le joug d’une domination masculine. Mais aussi celles qui faisaient aussi part d’insolence en ne gardant pas leur langue dans leur poche. Une sorcière, c’est juste une femme qui n’est pas sous tutelle, qui dit ce qu’elle a à dire et qui est mise de côté par la société. Et il y en a plein, aujourd’hui comme hier, des femmes comme ça. C’est assez logique que la femme précaire qu’on n’aide pas finisse par dire : « allez vous faire foutre » puisqu’on la laisse crever dans son coin. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle jette un sort. Après, les gens se débrouillent comme ils veulent avec leur culpabilité. 

Clotilde Hesme : Je me sens évidemment « sorcière » parce que j’ai pris certains chemins de traverse et que je n’ai pas peur de la marge. Je sens aussi que ma puissance est invaincue. C’est un peu comme avec le mouvement #MeToo; on pense qu’on est seule mais en réalité nous sommes légion et il se tisse une grande solidarité entre certaines d’entre nous qui aide réellement à vivre.

 

Parmi vos rôles, y a-t-il certains personnages de femmes qui correspondent aux sorcières dont parle Mona Chollet ? Anna Mouglalis, vous avez notamment incarné Juliette Gréco, Coco Chanel et Simone de Beauvoir…

Anna Mouglalis : Oui, ce sont des femmes qui sont des aspirations et des inspirations. Elles se sont battues pour leur liberté et l’ont imposée. Il y en a plein des figures tutélaires comme celles-ci, malgré ce que l’on croit. Et je suis heureuse qu’aujourd’hui, en librairie, on trouve beaucoup de livres sur ces femmes-là. Il y a vingt ans, c’était beaucoup plus difficile de trouver des livres féministes en librairies. Il fallait les chercher, fouiller. Depuis plusieurs années, je ne lis que la littérature féminine. C’est une manière de contrebalancer le fait que mon entrée en littérature, à l’école, ne s’est faite qu’avec des écrivains masculins. Quand on lisait le livre d’une femme, on nous disait qu’elle était exceptionnelle, alors qu’il y a toujours eu des femmes artistes.

Clotilde Hesme : La question de la liberté féminine est aussi présente dans le film L’Indomptée que j’ai tourné en 2015 avec la réalisatrice Caroline Deruas, et dont l’action se déroule à Villa Médicis à Rome. Dans ce film, l’indomptée, c’est la jeune fille rousse jouée par la sublime Jenna Thiam, une jeune femme libre, indépendante et créative qui représente une sorte d’idéal vers lequel tend mon personnage, celui d’une femme qui, elle, au contraire, est entravée par un mari violent et jaloux qui l’empêche de créer. Nous allons tourner une nouvelle version de L’Indomptée avec la réalisatrice Caroline Deruas, évoquant une véritable émancipation de mon personnage. Et lorsque ce personnage se révèlera enfin à elle-même, les autres, habitués à la voir soumise, la considéreront évidemment comme une sorcière et chercheront à la discréditer. Sinon, dans le film Diane a les épaules (2017) [qui parle d’une femme acceptant de porter l’enfant de ses deux meilleurs amis, ndr], on évoquait le non-désir de maternité, déconnecté de la possibilité physiologique de faire un enfant. Le film soulevait les mêmes questions que la GPA, mais aussi le fait d’être une femme un peu plus « bigger than life ». Et il y a une chose dont je suis fière dans ma filmographie, c’est que même quand j’étais plus jeune, j’ai toujours eu le même âge que mes partenaires masculins à l’écran. J’attache toujours de l’importance à cette question des représentations.

Qu’est-ce qui vous a le plus séduit dans le projet de lecture musicale de Sorcières au théâtre de l’Atelier en 2022 ? Est-ce la sororité entre les femmes présentes sur scène ? La volonté de faire entendre ce texte puissant ? De faire voir plusieurs féminités différentes avec, sur scène, des femmes de tous les âges et de tous les horizons ?
Anna Mouglalis :
Un peu tout ça. Le collectif À définir dans un futur proche (fondé par l’attachée de presse Mélissa Phulpin, la journaliste Géraldine Sarratia et la directrice de casting Élodie Demey) qui a monté cette lecture m’avait déjà contactée pour d’autres projets, et je n’avais pas eu le temps d’y participer, hélas. Là, c’était enfin possible car on se partage les dates entre plusieurs artistes. Ce qui m’a plu, ce sont les rencontres avec les musiciennes, les chanteuses et les autres actrices. Il y a beaucoup d’énergie et d’enthousiasme sur les planches. On est toutes venues animées par la même envie de soutenir ce texte fort. Il n’y avait pas d’histoires d’ego. C’était festif. 

Clotilde Hesme : J’ai été immédiatement séduite par cette idée de lecture musicale qui n’est ni tout à fait du théâtre ni un concert, mais une expérience scénique rythmée et joyeuse animée par la nécessité de faire entendre ce qui nous a émues. C’est un partage à un moment donné, du pur présent. Et c’est important de se réunir, et de faire se rencontrer les milieux différents que sont le théâtre, le cinéma et la musique. Ce projet en est une magnifique occasion et j’y ai fait de très belles rencontres. 

 

Qu’avez-vous trouvé le plus fort lors des représentations auxquelles vous avez déjà participé ?

Anna Mouglalis : L’ambiance dans la salle est jubilatoire. L’écoute est formidable et les rires fusent alors que les choses que l’on aborde sont plutôt dramatiques. Il s’agit de rires salvateurs, comme un appel à la sororité, rejoignant la définition d’un féminisme qui serait un humanisme.

Clotilde Hesme : Lors des représentations, il y a un très beau sentiment de communion avec le public et c’est ce qui est important pour moi. C’est magnifique ce qui se passe entre les musiciennes et les actrices sur scène, mais c’est encore plus beau lorsque nous arrivons à le partager avec le public. C’est la force d’une représentation.

 

Anna, vous étiez dans La Vénus d’argent (2023) et bientôt dans Je ne me laisserai plus faire avec Raphaël Quenard et Laure Calamy et dans Fragments d’un parcours amoureux. Clotilde, vous faites partie du casting du film Le Patient, diffusé sur Arte et êtes dans les séries Lupin et Le Signal, ainsi que dans Hamlet au Théâtre de l’Odéon. Quels sont vos autres projets ?

Anna Mouglalis : Je participe à un podcast, Styx et j’ai tourné dans une série Arte qui adopte une perspective décoloniale. La série, qui me en scène Swann Arlaud, revisite une histoire de la France que je ne connaissais pas, centrée sur des colons français en Afrique du Sud, au 19e siècle. J’ai aussi fait une lecture du dernier Despentes, Cher Connard (2022), avec deux comédiens que j’aime beaucoup, Félix Maritaud et Louise Orry-Diquéro, à la Maison de la Poésie, qui comme le théâtre de l’Atelier est un lieu que j’adore. Et au même endroit, j’ai lu lire les mémoires de Barbara. 

Clotilde Hesme : Après avoir beaucoup joué mon spectacle Stallone en tournée, j’ai été en résidence au Centquatre, à Paris, pour une prochaine création à venir. Et je prends le temps de lire et d’écrire, et de vivre. 

 

Anna Mouglalis sera bientôt à l’affiche de Je ne me laisserai plus faire (2024) de Gustave Kerven, qui n’a pas encore de date de sortie. Clotilde Hesme joue en ce moment au Théâtre de l’Odéon dans Hamlet.

Anna Mouglalis au théâtre de l’Atelier à Paris en 2022 par Julien Mignot.
Clotilde Hesme au théâtre de l’Atelier à Paris en 2022 par Julien Mignot.