Clara Nowhere d’Agar Agar: « Notre tube commence vraiment à m’emmerder »
Depuis 2016, la chanteuse Clara Nowhere forme avec Armand Bultheel Agar Agar dont le public retient surtout le tube Prettiest Virgin. En attendant de présenter son premier projet solo, Clara Cappagli, de son vrai nom, défend le nouvel album de son duo, dont la sortie est prévue au mois de janvier et qui s’accompagne d’un véritable jeu vidéo. Clara Nowhere s’est confiée à Numéro avec une sincérité rare…
Propos recueillis par Alexis Thibault.
Clara Cappagli écrit toujours des listes pour ne jamais oublier ce qu’elle aime vraiment. Le fromage et les mochis, le vin blanc et les demis-pêche. Les riffs dévastateurs de System of a Down et les complaintes splendides de Barbara. Les trucs un peu dark et les enquêtes fictionnelles crasses dans l’Amérique profonde… Elle a lu Italo Calvino, Haruki Murakami et toutes les interviews de David Lynch. Et surtout, elle n’a pas honte d’être encore un enfant. Une gosse de 29 ans qui, peluche sous le bras, a choisi un pseudonyme aussi poétique que désabusé. Clara Nowhere. Clara nulle part en somme.
Depuis 2016, avec Armand Bultheel, rencontré sur les bancs de l’ENSAPC (École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy), elle forme le duo Agar Agar. Sorte de fable médiévale sous acide, leur premier EP, Cardan (2016), les classe tour à tour dans la dance ravageuse, le post-disco et l’électropop indisciplinée, virée délirante entre Boy Harsher et Ariel Pink dont le public retient surtout le tube Prettiest Virgin. Deux ans plus tard, Agar Agar transforme l’essai avec un premier album risqué mais salué par la critique, The Dog and the Future, dont le titre et la jaquette résument le virage psychédélique. En attendant de présenter son premier projet solo, Clara Nowhere défend aujourd’hui le nouvel opus de son duo dont la sortie est prévue au mois de janvier. Pour l’occasion, Agar Agar dévoile Player Non Player, un jeu vidéo d’exploration narratif développé par le game designer Jonathan Coryn qui interroge notamment l’importance de l’intimité et de la préservation de la paix intérieure. Clara Nowhere se confie à Numéro avec une sincérité rare et évoque ses talents, ses déboires et ses démons…
Numéro: Quels souvenirs surgissent immédiatement à l’évocation de Biarritz ?
Clara Nowhere: Le vélo, la forêt et les randonnées… J’ai quitté la banlieue parisienne pour le Sud-Ouest à l’âge de 15 ans et je ne me considère toujours pas comme Basque, mes habitudes sont bien trop parisiennes ! Pourtant, c’est vraiment là-bas que je me sens le plus chez moi. Je lâche enfin prise tout en restant très solitaire. J’entretiens un rapport un peu compliqué avec Paris… J’ai longtemps souffert de troubles obsessionnels compulsifs très aigus, un véritable handicap. Et puisque j’étais en thérapie, je n’allais pas très souvent à l’école. J’ai guéri depuis, mais j’en conserve encore des traces.
Est-ce un sujet dont nous pouvons discuter ouvertement ?
Oui, il faut en parler. Ce genre de sujet est trop longtemps resté tabou. Si je peux aider d’autres personnes en partageant mon expérience, c’est parfait. Aujourd’hui, j’arrive à vaincre mes démons de plus en plus facilement. Je crois que j’essaie de m’aimer le plus possible pour donner autant d’amour en retour. D’ailleurs cela se ressent directement dans ma musique. Lorsque j’écris pour Agar Agar, des visuels me viennent immédiatement en tête, des images figées, des métaphores, des saynètes légères… et rarement une introspection. Mon projet personnel, lui, sera plus explicite, plus profond, moins métaphorique, presque plus glauque.
Le titre Trouble, sorti il y a quelques mois, évoque justement un personnage enfermé dans une boucle d’angoisse…
Le game designer Jonathan Coryn était aux Beaux-Arts avec Armand [Bultheel] et moi. Il s’est pris à son propre jeu en développant un projet beaucoup plus ambitieux que l’idée d’origine. Il n’a fait que ça pendant trois ans et nous a présenté les différents personnages qu’il était en train de créer au moment même où nous produisions le nouvel album d’Agar Agar. The Swimmer a retenu notre attention : un type tout seul, coincé dans le jeu vidéo, sur un transat, au bord d’une piscine qui s’ennuie profondément. J’ai pensé qu’il serait intéressant de créer des morceaux en fonction de chaque personnage du jeu. J’ai donc écrit le morceau Trouble sur la base de l’enfermement et du trouble obsessionnel. J’ai expliqué mon idée à Jonathan et à l’artiste Mélanie Courtinat qui ont immédiatement pensé au principe du respawn [renaître, réapparaître] et donc à un suicide éternel dans un jeu vidéo…
Selon vous, la création musicale se résume-t-elle à une suite de maladresses bienvenues ?
Mon processus de création est très instinctif, j’adore topliner, c’est-à-dire créer des mélodies vocales pour mes propres morceaux ou pour les autres. Improviser des mélodies de chant me vient tout seul, je crois que suis très efficace [Rires]. Ce sont des maladresses dont je me contente assez rapidement.
Y-a-t-il des morceaux de votre propre discographie que vous ne supportez plus ?
Avec Prettiest Virgin, je commençais vraiment à m’emmerder. Nous l’avons donc complètement modifié parce que j’en avais marre de le jouer. Pour autant, il aurait été très égoïste de ne pas le jouer sur scène, c’est à lui que nous devons notre renommée. Donc je le fais, mais à contrecœur [Rires]. Nous n’avons aucun contrôle sur le succès d’un titre ou d’un autre vous savez. J’ai par exemple été très étonnée qu’un morceau lent et obscur de huit minutes comme I’m that guy puisse avoir autant de succès que Prettiest Virgin, qui a littéralement explosé. Notre nouvel album est bien plus actuel et nous ressemble à 100%. Fake Names, l’un des nouveaux morceaux, est mon préféré.
Quel est le plus beau concert auquel vous ayez assisté ?
Celui d’Oneohtrix Point Never au Trabendo en 2016 [un musicien expérimental américain]. La plus grande claque de ma vie ! J’avais la gueule de bois, j’y suis allée à reculons et c’était juste extraordinaire. C’est selon moi LE génie absolu de la musique moderne. Pourtant, ce n’est pas mon genre de vouer un culte à un artiste…
Pourquoi répétez-vous à longueur d’interview être uniquement guidée par la flemme ?
Je ne sais pas du tout… Ce n’est même pas vrai en plus, nous bossons comme des fous avec Armand ! Nous avons débuté la musique avec une sorte de nonchalance car nous ne comprenions pas vraiment ce que nous étions en train de faire : aux Beaux-Arts, la musique était juste un moyen de triper. Lors de nos premières dates de concert, nous n’avions même pas de nom de groupe, nous improvisions trois ou quatre chansons pendant une dizaine de minutes et voilà. C’est vraiment…“beauzardeux”. Nous étions jeunes, insouciants, très naïfs et nous ne voulions pas spécialement percer. Puis tout a pris des proportions inattendues : nous avons découvert le métier sur le tas, sans aucune connaissance du business et du marché. On captait rien, on se laissait bercer. Finalement, cette “flemme” était une façon de laisser entendre que rien de tout cela n’était vraiment clair dans nos têtes.