Expo : le style Art déco en 3 architectures spectaculaires
Construit en 1937, le Palais de Chaillot est un petit bijou de l’Art déco, style artistique né en France au milieu des années 20. C’est donc en toute logique que la Cité de l’architecture et du patrimoine, située dans l’aile droite du bâtiment, présente jusqu’au 6 mars 2023 une exposition sur la genèse de ce mouvement transversal et sa diffusion au début du 20e siècle, de l’Hexagone à l’Amérique du Nord. L’occasion de se pencher sur 3 de ses constructions les plus spectaculaires et emblématiques.
Par Camille Bois-Martin.
1. Le Chrysler Building à New York (1928-1930) : un gratte-ciel pharaonique battant des records de hauteur
Lors de son expansion en Amérique du Nord, l’Art déco trouve un écho majeur à New York. Dans les grands magasins de la Grosse Pomme, il envahit les murs et l’architecture tout comme il se retrouve sur les stands dans les décorations, le mobilier et les vêtements qui y sont vendus. À la fin des années 20, un motif en particulier se décline à l’infini et devient l’emblème de l’Art déco américain : le gratte-ciel. Représenté en strass sur la bride d’une chaussure à talon, sur de nombreuses peintures de l’époque ou encore dans la fameuse bibliothèque gratte-ciel du designer américain Paul Frankl (1886-1958), qui en reprend la structure verticale à étages… Alors que le mouvement se trouve en légère perte de vitesse en France à l’époque, il profite en Amérique de la course au plus haut building qui secoue New York avec de nouvelles constructions. L’identité architecturale de la ville se redéfinit progressivement jusqu’à faire de l’Art déco un mouvement national.
C’est dans ce contexte que l’industriel Walter Chrysler entreprend l’édification du Chrysler Building au cœur du quartier de Manhattan à partir de 1928. Pour ce projet, l’homme d’affaires illustre dans l’industrie automobile mandate l’architecte américain William Van Allen, revenu quelques années auparavant de Paris où il était étudiant à l’école des Beaux-Arts. Avec quatre nouveaux étages construits chaque semaine, l’immeuble de 318 mètres de haut est achevé seulement deux ans plus tard, en 1930, et dépasse, grâce à sa flèche de 58,4 mètres à elle seule, tous ses concurrents américains et même internationaux, tels que la Tour Eiffel. Vitrine de la puissance des États-Unis, le Chrysler Building s’affiche aussi comme un symbole de l’Art déco américain et réunit toutes les caractéristiques du mouvement, en particulier dans sa partie supérieure.
En utilisant pour la première fois en Amérique l’acier inoxydable allemand Nirosta comme matériau dans son architecture, William Van Allen parvient à concevoir un immeuble au sommet arrondi, dont les motifs stylisés triangulaires et les demi-cercles imitent ceux des rayons de soleil. La façade entre dans l’imagerie américaine et sera reproduite sur des meubles mais aussi des robes ou des papier-peints. Aux angles du 61e étage, l’architecte ajoute des sculptures d’aigles en acier, d’ananas au 24e étage ou encore, au 31e, les fameux radiateurs des voitures Chrysler produites par l’industriel. Pendant onze mois, le building trônera au plus haut de la ville de New York avant d’être dépassé en 1931 par l’Empire State Building (443,2 mètres de haut, en comptant sa flèche).
3. Le Palais de Chaillot à Paris (1937) : le retour de la folie des grandeurs en plein entre-deux-guerres
De Paris à New York, il n’y a qu’un océan à franchir. Un océan que des architectes français comme Jacques Carlu n’ont cessé de traverser d’un bout à l’autre. Installé à Boston depuis dix ans, où il était professeur en design de pointe au Massachusetts Institute of Technology, il décide en 1934 de quitter les États-Unis, touchés par la Grande Dépression, pour rentrer en France. Alors que l’Art déco fleurit partout au sein du pays, le mouvement s’estompe depuis quelques années dans l’Hexagone, délaissé au profit des façades épurées et brutes construites par les modernistes tels que Le Corbusier. Mais l’époque est aussi au renouveau : l’État français souhaite transformer l’ancien palais du Trocadéro, construit pour l’exposition universelle de 1878, pour y implanter un théâtre. Approché par son ami et ancien camarade de classe Georges Huisman devenu directeur général des Beaux-Arts (l’équivalent à l’époque du ministère de la Culture), Carlu se voit confier la responsabilité du chantier. Ainsi celui qui, jusqu’alors, n’était pas parvenu à concrétiser ses ambitieux projets outre-Atlantique voit ici l’opportunité de construire son palais américain à Paris. Directement inspiré par le Federal Reserve Board building de Washington édifié par l’architecte franco-américain Paul Cret entre 1935 et 1937, Jacques Carlu s’associe à ses homologues Léon Azéma (1888-1978) et Louis-Hippolyte Boileau (1878-1948), qui décident de ne détruire que partiellement le palais préexistant et de conserver ses ailes.
Tout le projet prend des dimensions qui ne sont pas sans rappeler la folie des grandeurs américaine : une vaste esplanade de 56 mètres carrés est construite par dessus la future salle du théâtre Chaillot de 16 000 m2, qui sera enterrée, les ailes sont doublées d’une galerie monumentale surmontée d’un étage… Et tout le langage Art déco appris et instruit par Jacques Carlu pendant ses années à Boston se voit réutilisé : le rejet des angles droits au profit d’une structure arrondie, des ailes jusqu’aux pavillons, les sculptures en ronde-bosse présentes sur les façades – s’opposant à celles des bâtiments modernistes, dénudées et sans reliefs –, les frontons en trois parties pyramidales… Mais aussi, et surtout, l’idée de conception collective, avec la mobilisation sur le chantier de 71 peintres et sculpteurs. Perché sur la colonne de Chaillot, le palais attire à son ouverture lors de l’exposition universelle de 1937 plus de 31 millions de visiteurs. Aujourd’hui, il accueille à la fois la Cité de l’architecture et du patrimoine, le musée de l’Homme et le théâtre national de Chaillot.
“Art Déco. France / Amérique du Nord”, jusqu’au 6 mars 2023 à la Cité de l’architecture et du Patrimoine, Paris 16e.
2. Le Greystone Hotel à Miami (1939) : l’Art déco décliné en couleurs pastel
Pendant les années 30, à Paris, le mouvement Art déco commence à s’essouffler, tandis qu’à New-York il ne trouve plus l’espace pour se déployer. Alors que la crise de la Grande Dépression renvoie la plupart des architectes français implantés aux États-Unis dans leur pays d’origine, le début de la décennie est également marqué par un programme de construction initié par le président américain Franklin D. Roosevelt (élu de 1933 à 1945), qui souhaite développer et renouveler l’Art déco dans le pays…et tout particulièrement à Miami. En partie détruite par un ouragan en 1926 puis affaiblie par le krach boursier de 1929 (qui marque le début de la Grande Dépression), la ville de Floride connaît à cette période un véritable renouveau. Avec son ambitieux plan de reconstruction et sa demande touristique croissante, Miami Beach participe à la renaissance de l’architecture Art déco, qui se réinvente à travers notamment l’utilisation de matériaux plus abordables dans ses nombreux complexes hôteliers, tels que le béton, la brique de verre, le chrome, ou l’acier. Ces nouveaux bâtiments remplacent alors les luxueuses villas du début du 20e siècle, détruites par les catastrophes naturelles ou rasées afin d’exploiter leur terrain pour de plus larges constructions.
Adressés à la classe populaires, ces nouveaux bâtiments adaptent leur façade et leurs décorations à ce nouveau public, loin du faste de l’acier brillant inoxydable du Chrysler Building. Des hôtels comme le Greystone ou encore le Tiffany, le New Yorker ou l’Essex House reproduisent ainsi l’architecture en angle et arrondie caractéristique des bâtiments Art déco, réduite à deux ou trois étages seulement et repeinte en couleurs lumineuses et pastel – du jaune pâle, du vert d’eau, du rose, du bleu ciel… La palette chromatique s’adapte à la région balnéaire, dont les architectes reprennent également les motifs en les stylisant, tels les feuilles de palmier qui se dessinent sur le verre des bow-windows, ou dans le fer forgé qui orne les balcons et les entrées. À l’image du New-Yorkais Henry Hohauser (1895-1963), à l’origine de plus de 300 maisons, immeubles et restaurants à Miami dont le Greystone Hotel, nombre d’architectes puisent également leur inspiration dans des sources beaucoup plus anciennes comme les temples babyloniens, dits ziggourats. Leur structure à étages pyramidale se transpose dans le parapets supérieurs de ces nouveaux bâtiments, jusqu’à devenir au cours de cette décennie un élément fondamental de l’architecture Art déco américaine.
Nous sommes le 28 avril 1925. Alors que l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes ouvre ses portes sur l’esplanade des Invalides, les quais rive gauche et rive droite de Paris et les alentours du Grand Palais et du Petit Palais, les visiteurs de la capitale française voient émerger un nouveau style : l’Art déco. Distinct des courants avant-gardistes et modernistes qui remuent alors la création artistique française, entre cubisme et mouvement dada, l’Art déco s’étend à de nombreux médiums, du mobilier à la peinture, en passant par la sculpture et l’architecture. Ses partisans prônent un retour aux formes classiques, à une élégance “perdue”, en rupture avec le minimalisme du Bauhaus et du style international. Mais si l’Art déco est porté au pinacle par l’exposition de 1925, le mouvement est en réalité en germe depuis le début du 20e siècle, interrompu par la Première Guerre Mondiale, avant de fleurir dans les années 20 à travers les reconstructions des bâtiments détruits lors des conflits à partir de matériaux nouveaux et moins coûteux, comme le béton ou l’acier. Là où, depuis son émergence à la fin du 19e siècle, les artistes emblématiques de l’Art Nouveau assumaient généralement seuls la réalisation d’un projet de A à Z, de l’architecture bâtiment à sa décoration intérieure, son mobilier et ses sculptures, ceux de l’Art déco se distinguent par leur volonté de produire des œuvres collectives en confiant chaque tâche à son spécialiste – tempérant par là même l’image archétypale de l’artiste comme génie unique.
Au croisement des relations diplomatiques internationales et des nouveaux souffles créatifs de l’époque, le mouvement Art déco reflète les liens entre la France et les États-Unis, dont les artistes échangent et s’inspirent. Ainsi, des architectes américains se rendent enseigner en France, faute de chaires universitaires disponibles dans leurs pays, tandis que des architectes français vont construire à New York, Washington ou Miami. Et les célèbres paquebots qui relient les deux pays, comme l’“Île-de-France” ou le “Normandie”, décorés de la coque aux chambres par de grandes figures de l’Art déco comme l’architecte Pierre Patout, le maître verrier René Lalique ou le peintre Jean Dupas, se font aussi les ambassadeurs du mouvement à chacun de leur déplacement. Amarrés sur les quais de New York, ces navires se visitent comme de véritables musées flottants, qui importent les motifs stylisés, les formes arrondies et les sculptures en ronde-bosse propres au style Art Déco. D’un bout à l’autre de l’océan Atlantique, le mouvement prolifère, tout particulièrement sur le continent nord-américain, où il façonne rapidement l’architecture des grandes métropoles jusqu’à devenir un style caractéristique de l’urbanisme états-unien. Un style dont témoignent 3 constructions emblématiques et spectaculaires du mouvement, entre Paris, New York et Miami.