Rencontre avec Zita Hanrot, la puissante héroïne militante pro-avortement d’Annie Colère
Dans Annie Colère, au cinéma ce mercredi 30 novembre 2022, Zita Hanrot incarne une infirmière militante qui pratique des avortements illégaux sans douleur ni danger, dans les années 70, peu avant la loi Veil. À cette occasion, Numéro a interviewé l’une des actrices les plus attachantes du cinéma français.
propos recueillis par Violaine Schütz.
Solaire, sensible et toujours juste, Zita Hanrot s’est imposée, depuis Fatima (2015), pour lequel elle a reçu un César, comme l’un des visages les plus attachants du cinéma français. Exigeante dans ses choix, elle excelle autant dans le registre de la comédie générationnelle (la série Plan cœur sur Netflix) que dans celui du film sociétal (La Vie scolaire). L’actrice âgée de 32 ans mêle les deux côtés, le profond et le joyeux, dans le bijou féministe Annie Colère, en salle ce mercredi 30 novembre. Aux côtés de Laure Calamy et d’India Hair, elle incarne une infirmière militante qui pratique des avortements illégaux sans douleur ni danger, dans les années 70, peu avant la loi Veil. Un film d’autre plus nécessaire que la cour suprême des États-Unis a fait reculé le droit d’interrompre sa grossesse tandis qu’en France, les députés de l’Assemblée viennent d’adopter une proposition de loi prônant l’inscription de ce droit, fragile, dans la Constitution. Rencontre avec une artiste qui sait autant nous faire rire et pleurer que réfléchir.
Zita Hanrot en héroïne militante pro-avortement dans Annie Colère
Numéro : Qu’est-ce qui vous a le plus attirée dans ce film : l’histoire (qui raconte la vie des militantes du MLAC, le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, qui pratiquaient des avortements illégaux aux yeux de tous – sans douleur, ni danger – en 1974, soit un an avant la loi Veil) ou le mélange de profondeur et de joie permanent ?
Zita Hanrot : C’est d’abord le sujet qui m’a attirée. Cela engage politiquement de faire un film sur l’avortement. Pour moi, il s’agit de défendre une position que j’ai sur l’avortement, puisque je suis pro IVG. C’est un droit qu’il faut chérir, protéger et prendre soin, comme une petite plante fragile, surtout à un moment où dans certains endroits du monde, il régresse. Donc quand Blandine Lenoir, la réalisatrice du film, m’a dit qu’elle allait faire un film sur le MLAC et qu’elle voulait que j’en sois, c’était une évidence pour moi d’accepter.
Le film montre une grande sororité entre les femmes qui pratiquent l’avortement au MLAC et celles qui viennent se faire avorter. Avez-vous retrouvé cette sororité avec les autres actrices ?
Tout à fait. Les intuitions que j’avais en tête en lisant le scénario sur ce chœur de femmes très soudé, se sont toutes vérifiées. Il y avait beaucoup de femmes sur le plateau avec de grandes scènes de groupe à jouer et beaucoup de douceur, de confiance, d’humour car on aime toutes beaucoup rire. Même s’il y a des hommes dans le film, on pouvait parfois être dix actrices dans le cadre, ce qui arrive rarement au cinéma. En fait, il y a le personnage principal incarné par Laure Calamy, et j’avais l’impression que nous étions toutes comme une équipe derrière elle, et qu’on la portait. Du coup, beaucoup de force se dégage de ces scènes de groupe. On se croirait parfois presque dans un clip de Beyoncé (rires).
Le fait d’être entre femmes a-t-il transformé le plateau de tournage en « safe place » ?
Quand on a fabriqué le film, parce qu’on possédait cette expérience commune d’être des femmes et d’avoir à des endroits différents subi des violences, des attaques, que ce soit un regard salace dans la rue ou une réflexion au boulot, ça a créé du lien. C’était confortable d’être entre femmes. On pouvait parler de choses intimes, de ce qu’on a vécu, échanger sur des expériences de corps, de notre corps dans la société. On sait que quand on accepte un film comme ça, on l’accepte pour des raisons très précises, et qu’on est toutes d’accord avec ce qu’il raconte. Et donc, que ça va être un lieu de parole. Et le fait que le film parle de choses aussi intimes, ça a ouvert tout de suite la parole sur le noyau dur de ce qui se trame à l’intérieur de nous, en profondeur. Ça ne permettait pas d’être dans la superficialité. Et j’aime être tout de suite bien dans le vif du sujet, mettre les pieds dans le plat et pouvoir parler de tout parler librement.
On voit dans le film plusieurs figures de militantes. Il y a Annie (Laure Calamy), une ouvrière qui vient militer au MLAC après avoir vécu un avortement et avoir été blessée par la mort d’une amie, décédée après un avortement clandestin. Et vôtre personnage, une infirmière badass et très engagée nommée Hélène qui tient tête aux médecins masculins…
Ce que j’aime, c’est qu’on voit dans le film une galerie de personnages avec des énergies différentes et complémentaires. Elles sont toutes militantes mais à leur façon. Cela démontre que militer peut passer par plein de canaux différents. Il n’y a pas une seule figure du militantisme. Mon personnage est très affirmé, avec des convictions très fortes et elle ne va pas baisser le regard. Elle est très engagée et éprouve un certain plaisir à tenir tête aux gens et à militer, ce qui la rend très agréable à jouer. Elle ne lâche rien, comme si elle avait affaire à une proie.
Le personnage d’Annie vient au militantisme à cause de quelque chose d’intime. Mais on ignore si Hélène milite par théorie politique…
Comme elle est infirmière, je pense qu’elle a vu des femmes qu’on a laissées crever, notamment de septicémie et d’hémorragies. Et j’imagine que son engagement vient de là. Après je ne me suis pas forcément dit qu’elle avait vécu un avortement mais en tant que femme de cette époque, elle a du subir des examens gynécologiques qui l’ont mise en colère, car ils étaient sans doute trop invasifs. Et elle n’a sûrement pas eu le droit à la parole. Son engagement est donc, d’une manière, intime, même s’il ne l’est pas de la même façon que pour Annie. Elle a vu des choses et par empathie, elle a décidé de ne pas se taire et d’agir, pour éviter que d’autres drames se produisent.
Comment avez-vous construit ce rôle ?
J’avais envie de comprendre l’état d’esprit de l’époque. J’ai notamment regardé L’une chante, l’autre pas (1977) d’Agnès Varda, que j’ai adoré. On trouve dans ce film qui parle de l’amitié entre deux jeunes femmes et des droits des femmes une liberté extraordinaire. J’aime ce côté : « On part sur les routes, on est ensemble et on fait des spectacles sur le bord de la route. Et puis, tiens, il y a un gosse qui se trouve là, alors je vais l’allaiter (rires). » Hélène est un personnage que je trouve cool, même au niveau de ses vêtements. Elle porte un blouson en cuir et les cheveux très bouclés. J’avais donné en référence, à l’équipe du film, des photos d’Halle Berry dans le film Kings (2018) réalisé Deniz Gamze Ergüven, qui avait tourné Mustang (2015). C’est un film dans lequel Halle Berry se bat pour ses convictions. Je voulais avoir une coupe de cheveux similaire, très indisciplinée, pour montrer que mon personnage est si engagé qu’il y a quelque chose qui « déborde » chez elle, y compris au niveau capillaire.
Ce personnage d’Hélène est très indépendant et libre, comme on en voit peu à l’écran…
Je ne sais pas si j’ai réussi à le faire et je pense que je pourrais pousser cet aspect-là davantage, si j’en ai l’occasion, dans un autre film. Mais j’avais envie de montrer un personnage complètement détaché du regard des hommes, libre, et pas assigné à un regard. Elle n’a pas envie de plaire, ne cherche pas à être mignonne, ni gentille, ni polie. C’est d’autant plus jouissif d’interpréter ce rôle que lorsque l’on est actrice, on est définie par les regards que l’on pose sur nous, à commencer par le regard du réalisateur.
“Comme Fatima est un film social, on m’a associée au soin et aux films engagés.” Zita Hanrot
Avez-vous appris des choses en tournant ce film ?
J’ai appris plein de choses aussi car la réalisatrice, Blandine Lenoir, nous a envoyé beaucoup d’informations, d’articles et de dates sur cette époque. Je ne connaissais pas, par exemple, la méthode de Karman (acte médical simple et peu coûteux consistant à aspirer le contenu utérin, ndlr). J’ai été choquée par le nombre de femmes qui mouraient, chaque année, suite à des avortements clandestins. Elles étaient des milliers, ce qui en a fait un véritable problème de santé publique. Par contre, j’avais entendu parlé du MLAC, parce que j’avais une de mes tantes qui y était. Et drôle de coïncidence, j’ai appris en tournant le film que ma belle-mère avait été militante au MLAC de Paris. Du coup, on en a discuté. C’était très intéressant de se renseigner sur ce sujet mais aussi sur l’état d’esprit qui régnait dans les années 70 au MLAC. Il y avait une horizontalité, une solidarité, une écoute, un partage, une générosité et une approche du soin complètement différente de celle d’aujourd’hui. Les femmes qui pratiquaient les avortements ne portaient pas de blouses de médecins. C’était hyper important pour ne pas mettre à distance la femme qui venaient avorter. Au lieu de dire : « Nous sommes les sachants« , elles signifiaient qu’elles étaient comme les femmes qui se rendaient au MLAC.
Dans Fatima (2015), vous étiez étudiante en médecine et dans Rouge (2021), vous incarniez le rôle d’une infirmière (embauchée dans une usine chimique). Et dans Annie Colère, vous êtes de nouveau infirmière. Comment expliquez-vous que l’on vous propose souvent des rôles liés au soin, ainsi que beaucoup de films engagés (La Vie scolaire, Les Hirondelles de Kaboul) ?
Je pense que j’ai été médecin dans une autre vie… (rires) Je fais souvent la blague, quand je suis entourée de monde : « Laissez-moi faire, j’ai ma formation en réanimation ! » Plus sérieusement, je pense que beaucoup de personnes m’ont découverte dans Fatima, même si j’avais tourné dans d’autres films avant, comme Eden (2014) de Mia Hansen-Løve. Et comme Fatima est un film social, on m’a associée au soin et aux films engagés. Je jouais, dans ce long-métrage, une bosseuse qui a énormément de volonté, s’acharne, veut bien faire, et ne lâche jamais rien. Mais en même temps, elle est très fragile. Et ça a sans doute marqué la profession, comme le public, d’autant plus que j’ai remporté un César pour ce rôle.
On vous a rarement vue dans un rôle de méchante…
C’est drôle car aujourd’hui, on m’a posé la question : « Quel rôle voudriez-vous jouer ?. » Et j’ai répondu : « Quelqu’un qu’on n’aimerait pas. » Je pense que ça m’amuserait beaucoup. En tout cas, je serais très curieuse d’aller vers un personnage pas forcément sympathique. Quand on est actrice, on veut être aimée. Et je suis très heureuse que les gens me disent qu’ils aiment ce que je fais et mes rôles. Mais j’aimerais bien aussi me détacher de ce regard bienveillant le temps d’un film, ce qui ne serait pas simple, je pense.
Êtes–vous, à l’imagine de votre rôle dans Annie Colère, militante ?
Je ne me considère pas comme une militante. Mais je pense que je suis quelqu’un qui a des convictions et que je suis engagée. Pour moi, le militantisme est une activité à laquelle tu consacres toute ta vie. Ça ne peut être juste faire une manifestation et un post sur Instagram. Ça c’est de la communication rapide et facile. Si on veut militer et faire vraiment bouger les choses, cela demande une énergie colossale et du courage. Comme Aimé Césaire, il faut complètement s’imprégner et se jeter là-dedans sans avoir peur de comment ça va être reçu.
Dans le titre Annie Colère, il y a « colère ». Qu’est-ce qui vous met en colère ?
L’injustice car donc je suis un peu « la veuve et l’orphelin » (rires). Beaucoup de choses peuvent me mettre profondément en colère mais je dirais que je suis peut-être plus sensible au sort des femmes. Parce que c’est souvent plus dur pour les femmes. À misère égale, c’est souvent plus violent pour les femmes. Il y a une vulnérabilité supplémentaire, notamment pour les SDF, car une femme SDF a encore plus de risque de se faire attaquée dans sa chair, par exemple. Je pique aussi de grosses colères quant aux inégalités hommes-femmes, sur la façon dont les hommes peuvent s’exprimer sur des sujets comme si leur parole valait plus que celle des autres et qui se permettent de dire des horreurs. Au-delà de ces questions, qu’on laisse des hommes et des hommes se noyer en mer essayant de fuir leur pays parce qu’on a spolié leurs terres me rend folle de rage. Plus globalement, si on n’est pas en colère dans cette société, c’est qu’on est en train de s’éteindre. Je vois la colère comme un feu sacré qui permet d’avancer. C’est toujours mieux que la tristesse car on est dans l’action. A condition que la colère ne soit dédiée à écraser les gens, elle peut être transcendée pour faire quelque chose de bien.
« Annie Colère » (2022) de Blandine Lenoir, en salle le 30 novembre.