29 nov 2022

Quel est le grand projet du chef Yannick Alléno, loin des fourneaux ?

Chef triple-étoilé, Yannick Alléno préside aux destinées de prestigieux établissements parisiens. À l’image de Prunier, institution incontournable de la capitale spécialisée dans le caviar, dont le grand cuisinier signe cet hiver un livre qui en déroule le récit historique depuis sa fondation en 1872. Mais, loin des fourneaux, Yannick Alléno a également créé une association après la mort tragique de son fils Antoine il y a plus d’un an, pour venir en aide aux personnes ayant subi le même drame. Portrait.

Texte par Olivier Joyard.

Portait par Boris Camaca.

Réalisation par Jean Michel Clerc.

Yannick Alléno, photographié le 19 septembre 2022 au Pavillon Ledoyen, avenue Dutuit, Paris VIIIe. Pantalon en toile de coton, PT TORINO. Sneakers, NEW BALANCE.

L’Association Antoine Alléno : le plus grand projet du chef cuisinier

 

La nuit du 8 mai 2022, la vie de Yannick Alléno a basculé, quand celle de son fils s’est arrêtée sur le bitume parisien. Antoine, 24 ans, se trouvait à l’arrêt à un feu rouge sur son scooter lorsqu’il a été percuté par une berline de luxe volée, conduite par un malfrat récidiviste en état d’ivresse. Le jeune homme était cuisinier, comme son père. Ensemble, ils venaient d’ouvrir le restaurant Burger Père & Fils, rue de Grenelle, dans la capitale. Quelques mois ont passé, et Yannick Alléno parvient à reprendre la parole après l’impensable. “C’est l’homme de notre vie, notre responsabilité est d’honorer sa mémoire”, précise sobrement le chef, la gorge serrée. Avec des proches, dont la mère et le frère du défunt, il vient de créer l’Association Antoine Alléno. Son but est de venir en aide aux familles ayant perdu un enfant dans des circonstances similaires.

 

L’idée a germé dans les jours qui ont suivi le drame, face aux difficultés qui se sont ajoutées à l’horreur du moment. “Au-delà de la perte de son enfant et de la souffrance qui va avec, nous sommes entrés dans une accumulation d’épreuves à supporter. L’ensemble de ce parcours est extrêmement dur pour les familles. Comme j’ai un peu d’aura, j’avais envie d’aider celles et ceux qui se retrouvent dans cette situation.” Parfois, il faut plusieurs semaines avant que les corps ne soient rendus aux familles et qu’elles puissent enterrer leur mort, un délai impensable pour Yannick Alléno, qu’il aimerait contribuer à réduire. Le père endeuillé raconte aussi ce simple bout de papier avec un numéro de téléphone qui lui a été donné le soir de la mort de son fils, proposant froidement une aide psychologique. Un soutien dérisoire qu’il souhaiterait voir grandir grâce à son association et qui correspond à un réel besoin, comme il a déjà pu le constater. “Depuis que nous avons parlé de l’association, des montagnes de gens ont pris contact avec nous. Aucune journée ne se passe sans que quelqu’un ne disparaisse dans l’indifférence générale. Mais un enfant qui part n’est pas un fait divers, je me refuse à le penser. Et Antoine n’est pas mort pour rien.”

 

 

Retourner aux fourneaux a sur moi

un effet salvateur. ” – Yannick Alléno

 

 

L’association veut apporter une aide morale et financière aux familles frappées par la perte, en mémoire d’un garçon que son père décrit comme “généreux et tourné vers les autres”, que l’on voyait notamment prêter main forte au restaurant solidaire de Massimo Bottura, le Refettorio Paris, situé dans la crypte de l’église de la Madeleine. À 53 ans, celui qui reste l’un des plus grands chefs français, à la tête de nombreux restaurants dans le monde entier dont deux triple-étoilés en France (Alléno Paris au Pavillon Ledoyen et Le 1947Courchevel) et l’adresse historique Prunier à Paris, cultive une autre ambition que celle de représenter la cuisine hexagonale, ou de réfléchir à la meilleure façon de renouveler l’art de la sauce, l’un de ses principaux axes de travail depuis une décennie.

 

La touche Alléno, faite d’élégance et de profondeur des goûts, reste malgré tout pertinente et synonyme d’avenir. Il n’a jamais été question pour lui de renoncer au travail qui le passionne depuis l’adolescence, quand il débutait comme apprenti en pâtisserie au Lutetia à Paris, avant son ascension fulgurante. Quand on lui pose la question du sens que peut encore avoir la cuisine dans un moment aussi tragique – qu’il définit lui-même comme “contre-nature” –, Yannick Alléno n’hésite pas : “Retourner aux fourneaux a sur moi un effet salvateur. Il n’y a pas une seconde où je ne pense pas à mon fils, c’est l’endroit où je me sens le mieux aujourd’hui. J’ai beaucoup de chance d’avoir mes clients, mes amis, avec des gens fidèles autour de moi. C’est ce qui me permet de tenir.”

 

 

Prunier” par Yannick Alléno, éditions Glénat.